ZEROSECONDE.COM: mai 2010 (par Martin Lessard)

ZEROSECONDE.COM

Impacts du numérique sur la communication, notre société, nos vies.

Posséder à l'ère du 2.0?

C'est ma chronique mensuelle à l'émission radiophonique Citoyen numérique de Michel Dumais (CIBL 101,5). Nous continuons aujourd'hui l'exploration de la redéfinition du sens de certains mots clefs à l'ère du numérique.

J'avais discuté aux deux dernières émissions sur les notions de «relation» et de «temps» qui se sont légèrement infléchies pour refléter des réalités de la surabondance de l'information et des réseaux sociaux numériques.

Il est important de bien saisir que si le monde change, change aussi le sens des mots ou des usages.

Sur la «relation»

Dans un contexte de crise de confiance autour des journalistes, je disais que l'écrit médiatique avait perdu sa valeur, qu'il était désacralisé, qu'il s'était démocratisé, que tous pouvaient prétendre écrire: C'est la fin de la relation monopolistique du journaliste entre l'information et le public.

Ce qui reste, entre le journaliste et son public, c'est justement la relation qu'il a avec le public. Dans un monde de surabondance de l'information, divers type de relation entre les gens pour filtrer l'information. Ce que j'appelle le filtre social.

Sur le «temps»

On voit l'accès à la connaissance se répandre et emprunter des canaux non contrôler par les institutions traditionnelles du savoir. Une «légitimation informelle» des savoirs profanes se crée. Or aujourd'hui la légitimation de certaines connaissances n'est plus juste basée sur la «validation», mais aussi (et de plus en plus) sur la «participation».

Et qui dit «participation» dit temps pour participer. Wikipédia est un bon exemple: tous peut participer à la co-construction des savoirs, encore faut-il avoir du temps. Le temps compte plus que l'expertise. Qu'est ce que cela va donner au final? On ne le sait pas encore…

La propriété à l'ère du 2.0

Un certain déplacement est perceptible. Particulièrement pour ce qui est de l'information. Que veut dire posséder une information.C'est ce que je vais discuter à l'émission Citoyen Numérique.

Premièrement, qu'est ce que veut dire posséder quelque chose dans un mon de surabondance. Qu'est-ce que ça veut dire avoir quelque chose qui peut être immédiatement remplaçable à bas coût. Et pour ce qui nous intéresse, qu'est ce que ça veut dire aujourd'hui dans une économie numérique posséder de la musique, des ebooks, des applications iphones? Que possède-ton vraiment à l'ère du 2.0

Le iPad sort demain au Québec. Qu'est-ce qui peut pousser les gens à aller s'acheter cet iPhone géant. On dit que c'est la bouée de sauvetage des magazines et des journaux. Pourquoi? Comment? Le iPad offre un rapport différent du web à la possession de l'information. On en discutera.

La vie privée. Sujet de l'heure avec le changement (encore!) des paramètres de confidentialité de Facebook. Qu'est-ce qui nous appartient? Qu'est-ce qui est du domaine privé? Depuis que l'individu crée des documents sur lui- même, qu'il se documentaliste, qu'est-ce qui est à lui, qu'est-ce qui appartient aux autres? Cette question qui était une préoccupation des politiciens et des stars s'est démocratisée. On en discutera

Le copyright. Même chose. Que veut dire produire du contenu aujourd'hui, alors que tout est copiable. Que vend-on réellement? Qu'achète-t-on? Qu'est-ce que l'on possède au fond quand on produit ou que l'on crée? Sujet délicat que le droit d'auteur. Mais aujourd'hui la notion même d'auteur varie.

Alors, que possède-t-on dans un monde de surabondance? De quoi on est propriétaire? Quand tout peut être copié, pirater, envoyer, reproduit? Quand posséder un objet ou une information ressemble plus à un emprunt, ou une location, ou même à un abonnement?

Il nous reste la réputation , la crédibilité , la confiance .

Aujourd'hui, 13h30-14h00 à CIBL 101,5 . Et ne manquez pas, tout de suite après moi, Émilie Ogez qui est de passage à Montréal. Belles conversations en perspective.

Viral Québécois

«Créer un état souverain de langue française par une action démocratique constante!» René Lévesque, 1968, revisité 2010! Viral en vue!



Cette vidéo, rythmée merveilleusement par Fred Poirier, est un excellent exemple de viral qui peut rejoindre toute la société québécoise.

Une vidéo virale se répand sur des terreaux fertiles déjà sensibles à un message. Lancée récemment, cette vidéo va commencer à faire son plein dans les jours qui vont suivre, au fur et à mesure qu'elle sera connue.

On peut être surpris de la qualité «obamesque» du discours de René Lévesque. Comme quoi des dirigeants à la langue subtile et claire, imagée et évocatrice, ont déjà existé ici.

Le souverainisme québécois à sa base même (la vidéo est le discours du fondateur du parti Québécois) est intégrateur, démocratique, pacifiste et ouvert sur le monde. On est loin des bobards de ceux qui crachent sur la «gang de séparatisses», ici au Québec, et un peu partout dans le reste du Canada.

Le travail artistique de Poirier est un bel exemple d'appropriation numérique de la culture à l'ère des réseaux ( autopublication venant de la base, repiquage et remixage, réappropriation et partage)

« Ce qui nous laisse petits, c'est la peur de devenir grands. »

---
Vidéo virale
Discours original (4:19) (à écouter absolument!!)
Fred Poirier : MySpace et Facebook
[mise à jour]
Stats 21 mai 2010: 15h00: 6364
Stats 27 mai 2010: 23h45: 8400
Stats 08 juil 2011: 23h05: 16059
+ variantes avec d'autres hommes politiques

TV 2.0 : Google Télévision

Google Télévision a été annoncé officiellement hier. Petit tour d'horizon.

Premièrement, n'espérez pas en voir un avant l'automne 2010 (et aux États-Unis seulement) ou même l'été 2011. Une annonce n'est pas une livraison.



Côté utilisateur

Google TV c'est le web à l'écran. Mais centré autour du célèbre rectangle magique: la boîte de recherche. Recherchez et vous trouverez. Google vous amène la vidéo trouvée sur le web directement à votre téléviseur.

Là où Apple TV vous «streamait» vos vidéos stockées sur iTunes, Google TV prend tout ce qui bouge sur Internet (YouTube, Netflix, VOD, vidéo podcast) et vous le projette à l'écran.

En un mot, il vous donne accès à toute la longue traîne de l'offre audio visuelle sur le réseau.

Les grandes chaînes comme le vulgaire canal de votre neveu dans son sous-sol sur YouTube seront là sur le même écran. Sauf que vous allez peut-être enfin regarder davantage votre neveu (ou d'autres, qui vont fatalement éclore) car vous n'aurez pas à réduire la fenêtre d'Excel pour l'écouter: il sera dans le confort de votre salon, sur votre grand écran.

Google met sur la même scène amateurs et professionnels, c'est-à-dire sur le même pied d'égalité. Ou plutôt dans la même base de données. Car avec Google TV, pas de grille horaire, mais un moteur de recherche qui a fait ses preuves auprès du grand public : «passez moins de temps à chercher, passez plus de temps à regarder» ont-ils dit.

Proposer le web sur le téléviseur n'est pas nouveau. Mais Google possède l'aura de rendre ça «mainstream» par sa légendaire «simplicité».

Plus d'info: 20 minutes, Gizmodo, Korben

Côté technique


La plateforme Google TV est basée sur leur système d'exploitation Android, qui équipe les téléphones intelligents lancés par Google il y a 1 an. Il tourne une version optimisée de Chrome, un navigateur web. Il faut un téléviseur spécial (Sony a déjà annoncé qu'il va en fabriquer) ou un boîtier dédié, tous deux équipés d'une puce Atom d'Intel.

Il sera possible aussi de traduire en temps réel les sous-titres. Une caractéristique qui, pour toute banale qu'elle puisse être, sera à mon avis très appréciée.

Le système possède aussi un accès au Blu-Ray et la fonction d'enregistrement (en cours ou différé).

Les Apps d'Androïd seront disponibles sur la Google TV, ce qui lui donne une longueur d'avance. L'intégration TV/mobile est quelque chose qui me semble tout à fait inexplorée encore. Mais l'accès aux Apps permettra probablement l'émergence d'une série d'innovations qu'il faudra observer de près...

Google annonce que le système, via le mobile, pourrait aussi être activé par la voix (via le mobile Android.

Autre chose. Regarder la télévision web ne veut pas dire se couper des autres outils internet: Twitter sera accessible en tout temps pour «accompagner» vos émissions...

Et pied de nez à Apple: Google TV supportera le Flash d'Adobe.

Plus d'info: Mashable, ReadWriteWeb FR, Abondance

Côté impact

Comme pour le web, Google propose de simplifier l'organisation de l'information: on met tout dans une base de données et on l'interroge. Pas de grille horaire, pas d'arborescence, seulement une boîte de recherche.

Si dans un premier temps, nous allons rechercher les émissions professionnelles auxquelles les grandes chaînes nous ont habitués, on ira probablement rapidement du côté des webtélé, au début pour essayer, puis de plus en plus souvent (parce que la qualité augmentera nécessairement et surtout parce notre réseau social le recommandera). Une véritable aubaine pour «l'industrie» de la webtélé.

Les agrégateurs comme Hulu.com ou Tou.tv seront alors pris en tenaille. Un bras de fer s'engagera avec Google TV pour savoir s'ils laissent entrer le loup dans la bergerie. Pour l'instant les premiers sont en position de force (ils possèdent tout le contenu de qualité télévisuelle disponible).

Mais les producteurs et les diffuseurs, une fois les questions de droits de diffusion tous azimuts réglées, chercheront éventuellement à donner le plus grand éventail de fenêtres pour leur production (on ne produira plus «de la télévision» mais bien du «contenu», or ce contenu peut/doit être vu qu'importe la plateforme). Si Google amasse des audiences records, ce sera difficile pour les diffuseurs et les producteurs de choisir de rester dans des châteaux forts assiégés.

Et finalement, avec l'absence de grille horaire (de toute façon devenue ingérable), la boîte de recherche deviendra aussi ingérable : que choisir, quel mot mot clef prendre, quoi regarder?

Là intervient notre réseau social. Une fois bien entouré, il est possible de vivre en diapason audiovisuel avec ce que ta communauté regarde. Ah! Toujours et encore, le filtre social...

TV 2.0 : Sous les RT, la plage horaire?

Nous sommes en 40 après internet; toute la Culture est occupée par le web… Toute ? Non ! Car un village peuplé d'irréductibles Télévisions résiste encore et toujours à l'envahisseur. Et la vie n'est pas facile pour les garnisons de téléphiles cathodiques des camps retranchés de Radio-Canada, France Télévisions, RTBF, RTS, Télé-Québec et TV5…

Web Télé 2.0

J'ai eu le privilège de donner une conférence sur la «Télé2.0» qui a servi de point de départ aux Journées de la CTF, la Communauté des Télévisions (publiques) Francophones lundi dernier à Québec.

La télévision, depuis plus d'un demi-siècle, est au centre de la culture populaire partout en Occident. Or, l'arrivée d'Internet dans le paysage audiovisuel change la donne, comme elle l'a fait pour l'industrie de la musique et comme elle le fait pour l'industrie de la presse écrite.

La culture web façonne nos habitudes, crée de nouvelles demandes et bouleverse les acteurs de tout l'écosystème audiovisuel pour mettre en place un nouveau terrain de jeu dont il faut apprendre les nouvelles règles.

Comment faire de la télévision en 2010 avec une atomisation de l'attention et une audience mutante qui multiplie les tâches et les écrans et qui crée elle-même une longue traîne de contenu inédit qu'elle consomme distraitement, mais massivement?

Le filtre social est devenu le nouveau syntonisateur de contenu.

La surabondance des canaux ne peut que renforcer l'agrégation et le filtrage a posteriori.

Comment faire, effectivement, pour savoir ce qui est bon et souhaitable d'écouter? Quand notre réseau laisse percoler la qualité, distillé par de multiples «retweets» et de «FaceBook j'aime», elle nous indique, comme un guide horaire social, ce qui «fait sens» dans notre communauté.

Oui, on vit la fin de l'hégémonie de la télévision comme puissant vecteur de la culture populaire et de la culture démocratique.

Sous les RT, la plage horaire?

La «web télé sociale», c'est la rencontre du «temps réel» et du direct. C'est le capital social comme pôle magnétique (comme «aimant à pupilles»).

La télé comprend que l'affranchissement de ses téléspectateurs, devenu «utilisateurs» sous les coups répétés des têtes de béliers du multimédia, passe par un transfert de pouvoir. Car ce n’est pas une question de savoir si Internet va modifier la télévision. C’est plutôt comment et à quelle vitesse.

Le contenu généré par les utilisateurs? Les utilisateurs «perdent» leur temps à écouter ces contenus? Non, ils «occupent» leur temps à produire ces contenus. C'est la «télé à moments perdus», cette télé nomade qui occupe les trous dans notre horaire, sur la route, ou entre deux appels. Une opportunité pour la télé si elle sait lâcher une partie de son contrôle. Mais ce n'est pas nécessairement leur rôle ni l'avenir.

Le temps cerveau? «Nos émissions ont pour vocation (...) de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages» Patrick Le Lay, PDG de TF1 (2004). Oui. Mais pas entre deux messages. Entre deux activités. Un défi pour la télé car si on ne peut concurrencer directement Youtube, le terrain de combat est le même : le temps cerveau. Le temps tout court.

La nouvelle barrière est la capacité limitée de réception. Ce n'est pas une barrière technique, mais bien humaine. Le filtrage social est devenu une stratégie essentielle pour se retrouver dans la surabondance de contenu.

Voir au loin

Télévision veut dire «voir au loin». Alors quand elle regarde devant, que voit la télé?

Que l'heure de pointe est perpétuelle et distribuée à travers la société et toute la journée. Que ce qui se joue se passe dans les interstices de sa pratique.

Alors, elle regarde sur ses côtés: elle voit les nouveaux joueurs. Des amateurs qui font que YouTube, 5 ans après son ouverture, a 2 milliards de visionnements par jour. Des industriels qui refont la télévision: Google, Intel et Sony proposent Google TV [MàJ: lancement annoncé aujourd'hui pour l'automne 2010]qui vous apportera le web dans votre salon.

Elle se regarde de l'intérieur et voit sa culture institutionnelle qui l'alourdit, ses chaînes de droits qui le ralentit, sa complexité qui le handicape. Face à ce mutant multiforme qu'est le web, où la notion même d'auteur, de scénario, de production est complètement redéfinie, sinon absente, elle voit son poids devenir un frein à l'innovation, alors que la seconde d'avant, c'était son avantage...

Elle regarde surtout dans son angle mort -- à ce jeu, sur l'autoroute de l'information comme dans la vraie vie, on sait que la survie c'est d'être vu. Être vu ou périr.

Le devoir de se taire

Poussons un peu plus loin le débat sur le silence, l'authenticité et la critique en ligne à l'ère du 2.0 (voir mon billet d'hier L'authenticité doit-elle être violente?).
Alex 661 Il ne serait pas nuisible de lire le dernier papier de Christian Rioux. Dans sa chronique de ce matin [abonnement; cache], il prend à partie une jeune étudiante de cinquième secondaire (Alex661). Elle s'est exprimée dans les commentaires du blogue du Devoir sur la réforme en éducation au Québec, dans un langage confus et truffé de fautes. [voir son texte]

Précisons que ni le nombre de fautes ni l'articulation des argumentations (du «niveau de la fin du primaire») ne l'incommodent au point d'en faire un article. Il est par contre outré par «l'absence totale d'inhibition chez son auteur.»

L'art d'écrire et non le besoin de s'exprimer
«Personne n'a jamais expliqué à Alex qu'avant d'écrire, il fallait d'abord apprendre à se taire — c'est d'ailleurs le plus difficile. Qu'il fallait lire beaucoup avant de songer à énoncer une petite idée. Qu'il valait mieux faire de nombreuses rédactions sur l'automne et peut-être même apprendre quelques poèmes par coeur avant de penser à avoir une opinion. Et que le vrai travail ne commençait qu'au moment de se relire.»
Il prône le devoir de silence, en quelque sorte. Une auto-censure qui va au-delà de mon billet à propos du débat où Steve Proulx (Twitter ou téteux?) parlait de: «l'exhibitionnisme stratégique sur les réseaux sociaux [qui] a créé [... ] la foire du jovialisme 2.0. Le web 2.0 est le « au royaume de la tape dans le dos», dit-il.

Rioux, lui, dit, au fond, et c'est plus radical: sans la méthode d'écrire correctement, ne dites rien.

À qui appartient la langue écrite?

«L'irruption des blogues et des opinions de toutes sortes dans Internet nous rappelle que l'opinion n'est pas notre privilège» a dit Edwy Planel , ancien directeur de la rédaction du Monde et maintenant fondateur de Médiapart, l'un des intervenants au colloque international sur l'avenir du journal indépendant.

Dans un monde d'autopublication, tout le monde a son mot à dire (cf la fameuse épidémie blogueuse du même Christian Rioux).

Rioux accuse la réforme scolaire d'avoir encouragé les jeunes à donner leur opinion sur tout et n'importe quoi. «Incitée à s'exprimer le plus librement possible, notre étudiante a donc choisi en toute logique de se "libérer" aussi des contraintes de la langue.»

Ce qu'il lui reproche le plus, «c'est l'absence de compréhension de ce qu'est la langue écrite».

Il n'a pas tort.

Opinion sous-entendue

Attention, la prémisse sous-entendue est : il existe des règles de combat dans la joute de l'écrit qu'il faut respecter.

Autre sous-entendu possible: la désacralisation de l'écriture est devenue un mal répandu. Comme l'art chevaleresque tombé en désuétude ou la fin des combats en ligne lors des guerres d'indépendance en Amérique; une «façon de faire» passe à la trappe.

Pendant que l'élite pointe du doigt la désacralisation de l'écriture, l'écrit évolue aujourd'hui pour quitter la sphère des oeuvres littéraires et rejoindre le langage parlé : désacralisation qui rime avec démocratisation.

Là où Steve Proulx dit que «la critique [sur Internet] est tout à fait légitime» (en réaction à la «moumounerie de la gentillesse 2.0» (comme surnommé par Michelle Blanc), Rioux répond, oui, mais avec la forme!

L'authenticité doit-elle être violente?

L'anonymat sur Internet a apporté son lot de désolation. Spam, troll, vulgarité et lynchage. L'arrivée de l'identité numérique en serait-elle l'exact opposé?

WarhammerSteve Proulx, du journal Voir, pense que oui et emprunte ces mots à Teddy Wayne du USA Today: «nous nageons de plus en plus dans une sorte d'Internet "aseptisé", où le ton badin est utilisé à toutes les occasions. [...] Facebook et Twitter, c'est la mort de l'authenticité...». Nuançons.

Steve Proulx insiste pour dire que «la critique est tout à fait légitime. Plusieurs, d'ailleurs, pensent la même chose. Mais personne ne le dit.» Il y a comme une retenue sur les réseaux sociaux. Mais encore plus de retenue sur Facebook que sur Twitter. Car, et Michelle Blanc le souligne bien dans sa réponse à Proulx, Facebook «est une collection de ce que l’on nomme " des amis " ».

«On est solidaire de toutes les causes. On aime tout ce que font nos amis. On félicite en série. Et quand c'est l'anniversaire de quelqu'un, on beurre son babillard de fleurs.»Ce débat porte sur la responsabilité de sa voix en public. Blanc répond«[Sa] vision « moumounesque » de la gentillesse 2.0 est donc à mon avis très parcellaire.» Essayons de discerner pourquoi elle est parcellaire.

Identité, authenticité, voix

Ce qui se discute ici, c'est la responsabilité de sa voix en public. Et Twitter/Facebook ne fait que rendre formelles des contraintes qui existaient avant. En utilisant les médias sociaux, nous y associons notre identité et notre voix.

Or, notre voix ne nous appartient pas tout à fait. Et oui! Notre personnalité dans la sphère publique n'est pas entièrement sous notre contrôle. Même dans le monde merveilleux de l'autopublication, on ne publie pas tout ce que l'on veut. Une certaine pression existe.

Paroles publiques, pas de lieux privés


L'usage des médias sociaux est une prise de parole en public. Si tu veux parler contre quelqu'un, il est impossible que cela se fasse dans son dos : toute parole est obligatoirement frontale. Il n'y a pas de place pour «parler dans le dos de quelqu'un». Il n'y a pas de revers, tout ce que l'on affirme sur quelqu'un lui arrive aux oreilles (ou sur son agrégateur). Tout finit par se savoir (ou se faire indexer).

Or, nous ne sommes pas prêts à parler contre quelqu'un devant lui, tout le temps, tout de suite. Il faut des arguments. Il faut se préparer à se battre, à essuyer des coups et répondre. Twitfight, flame, trolling. C'est inévitablement violent (à tort ou à raison). Ce n'est pas quelque chose que l'on fait tous les jours. Le silence est alors parfois un bon sanctuaire.

Auto-censure

Un certain consensus de respect s'installe. Ce qui émerge c'est une stratégie de respect et de construction où nos voix se mélangent et où les médisances n'ont pas facilement leur place (une parole méchante est si facilement échappée). Sur le web, chacun a une authenticité contrôlée, comme dirait Michelle Blanc.

Ou alors, puisqu'il n'y a pas d'échappatoire, la confrontation ne peut être que violente puisqu'il n'y a pas d'autre soupape. L'anonymat permet ça. La distance ou l'ignorance aussi. Ou la détermination d'avoir raison.

Ce qui tend à se mettre en place c’est donc ça: le respect et de la construction de bonne relation. Si je sais que l'autre va lire (éventuellement) ce que j'ai écrit, je dois l'écrire en conséquence. À terme, on protège ainsi notre espace et respecte celui des autres. Une forme d'auto-censure...

Authentique

Être soi-même, ce qu'on appelle être authentique, et c'est ce que vise Proulx, n'implique pas le laisser-aller à toutes ses impulsions. Mais que le surplus de civilité remarqué dans les réseaux sociaux ne le surprenne pas. Il y a tant de choses à faire dans les merveilleux mondes numériques, que tout différent ne mérite plus bataille. Et si on peut étendre cette civilité au-delà de notre cercle et englober une grande partie de la population, grand bien nous en fasse...

Diagnostic de Diagnostic

Une pleine page. Voilà ce que la Fédération des Médecins Omnipraticiens du Québec (FMOQ) se sont payé. Une pleine page dans le journal aujourd'hui. Pour annoncer quoi? La diffusion d'un «documentaire-choc» sur YouTube! Quand la santé embarque dans les réseaux sociaux.

YoutubeUn exemple de la mutation du paysage audiovisuel, c'est ce «documentaire» de la FMOQ sur le manque de médecins de famille au Québec (1102 exactement -- précision chirurgicale si vous me permettez le jeu de mots).

La mise en page de la pub rappelle celle que Radio-Canada propose parfois pour des grandes émissions ponctuelles. Ton dramatique dans l'image et le texte («la pénurie de médecins de famille s'est aggravée de 45%») et un titre frappant «Diagnostic: un documentaire-choc à visionner sur youtube.com/medecindefamille».

Diagnostiquons «Diagnostic»!

Bon, mettons au clair, avant toute chose: ce n'est pas un documentaire, mais bien une publicité. Un documentaire doit être signé par un cinéaste et ici, ça sent la commande. Il manque totalement le traitement «journalistique» habituel (il n'y a pas de point de vue de politiciens ou d'experts) et le message est clair: c'est un moyen de pression de la fédération pour former davantage d'omnipraticiens.

Au lieu de se ruiner à passer 30 secondes à la télévision, la FMOQ a pu se payer à la place une série de 8 clips bien léchés pour la promotion de leur message. Les clips laissent toute la place pour voir le témoignage de certains docteurs sur la question du manque de médecins de famille et on nous invite à aller s'abonner à la page Facebook pour faire pression sur le gouvernement.

Diagnostic

Côté Youtube

Page dédiée et URL unique, la FMOQ joue toute de suite la carte de crédibilité. Leur canal YouTube est sans pub, avec une image de fond corporative. La vidéo principale reste tout juste en dessous du 10 minutes maximum et une série de 7 vidéos supplémentaires (de 2 à 3 minutes) sont disponibles (principalement des interviews/témoignages).

Les signes d'autorités sont partout (le stéthoscope est dans le design de la page et il n'y a pas un docteur qui ne la porte pas autour du cou). Les témoignages des médecins permettent de montrer leur quotidien, d'une façon peut-être moins stéréotypée que dans une pub ou à travers un reportage télé. En ayant plus de temps pour passer leur message, ils peuvent espérer toucher le coeur des gens (le côté rationnel, lui, est touché par les statistiques qui sont en surimpression par moment sur les vidéos -- «2M de Québécois n'ont pas accès à un médecin de famille»).

Mais je ne crois pas que ce pseudo «documentaire-choc» soit l'objet de la pub pleine page. La pub papier est l'amorce, et YouTube est la page d'atterrissage (landing page). Le véritable appel à l'action (call-to-action) est le groupe Facebook

Côté Facebook

Page Facebook traditionnelle. Environ 1590 personnes ont «aimé la page» (Facebook Like) quand je suis passé ce midi. C'est là que ça devient intéressant. Les gens peuvent aussi donner leur témoignage: « nous sommes 6 dans notre famille des enfants de 13 ans jusqu'a 2 ans et pas de médecin de famille... faut vraiment pas être malade».

Alors que YouTube pouvait faire «arrangé», sur YouTube, les commentaires sont réputés authentiques. Pcq ceux qui postent leurs commentaires le font aussi dans leurs réseaux personnels. Même si cela ne garantit pas de «faux témoignages», la différence ici est que ceux-là le feraient devant leur propre communauté. Les réseaux sociaux induisent une imputabilité de l'émetteur. Il est plutôt difficile de créer une désinformation de masse.

Dans l'ensemble ces témoignages montrent leur perception qu'ils ont d'avoir (ou plutôt de ne pas avoir) un médecin de famille. Et c'est bigrement plus efficace qu'un vidéo de commande. La santé est un thème très porteur, donc il n'est pas difficile de toucher le monde. Les réseaux sociaux peuvent alors permettre de capturer le pouls de la population.

Côté campagne

Le pari de lier une publicité traditionnelle pour démarrer un viral numérique est toujours risqué. La vidéo principale sur YouTube a été visionnée 1500 fois (chiffre de ce midi)[MàJ2 27000 deux jours plus tard et 51000 neuf jours plus tard] }MàJ3: 111 000 2 mois plus tard]. Quand on sait que la rétention est très courte dans les médias traditionnels et que le drive-to-web n'est pas très élevé. Ça ne s'annonce pas bien? Il est encore trop tôt pour conclure, car il existe peut-être d'autres tactiques médias, mais si la pleine page n'a pas joué un rôle de «drive-to-Youtube», elle a bien joué son rôle de marque.

Si la pleine page fait un effet de marque, alors c'est le groupe Facebook qui créera le viral. Leur compte Twitter annonçait que «la FMOQ lance une conversation dans les médias sociaux qui donne la parole aux médecins de famille». Cette conversation se tiendra très probablement que sur Facebook, Twitter n'ayant que peu relayé l'information actuellement (et la limitation de 140 joue pour beaucoup). Comme Facebook est une énorme caisse de résonance, dès qu'elle se met à vibrer, elle attire rapidement l'attention.

Côté apprentissage

La campagne média a été probablement l'initiateur du mouvement du partage de témoignages sur Facebook. Mais elle servira probablement plus à des cibles traditionnelles: les journalistes et les politiciens. «Hey regardez ce que l'on montre aux citoyens» et force est de constater que cette cible ira probablement voir les témoignages sur Facebook.

Mais ce que je vois d'intéressant aussi, c'est l'effet secondaire que ça a engendré. On lance un «document» audiovisuel sans passer par les grandes chaînes de télé, et directement du YouTube, qui se trouve être un canal qui «légitime» la diffusion (et paye la bande passante). Techniquement, un site web aurait pu faire la même chose. Mais la simplicité de laisser Youtube gérer la diffusion l'a emporté.

Le «diffuseur» ne fait plus office d'intermédiaire-filtreur, mais de simple relais. Les politiciens Obama et Harper l'on compris et court-circuitent les «gate-keeper» de la «parole télévisuelle», qu'ils soient journalistes ou chaînes de télé. Ils accèdent ainsi directement à la population sans filtre.

Faire ainsi permet non pas manipuler l'opinion publique, mais de provoquer des réactions qui peuvent être bénéfiques à une cause, sans devoir passer par l'aval d'un gate-keeper.

En engendrant un mouvement de foule médiatiquement orchestré, dont l'apothéose est cette «pétition des témoignages FaceBook», quelqu'un peut réussir à créer un rapport de force contre un acteur social.

Dans le cas présent, pour la FMOQ, ils tentent de mettre leur problématique à l'ordre du jour du gouvernement, un acteur social très sensible aux pouls de la population... À suivre.

Topo sur Foursquare

Foursquare a atteint son million d'usagers récemment. Il est peut-être temps d'en savoir un peu plus.

Voici une intro «business» à foursquare (par Gregory Pouy)



Voici un document d'introduction au système Foursquare, par Régis Vansnick (via Julien Bonnel)