ZEROSECONDE.COM: e-médiocrité et élitisme (par Martin Lessard)

ZEROSECONDE.COM

Impacts du numérique sur la communication, notre société, nos vies.

e-médiocrité et élitisme

Jean-Sébastien Marsan dans le Devoir de samedi a publié un long commentaire sur Frank Zappa et son regard critique sur Internet qu'il aurait pu avoir s'il était encore de ce monde. L'auteur semble connaître Zappa d'une façon admirable (les 3/4 du texte), mais il s'avance un peu sur la façon que le grand compositeur américain aurait réagi à l'heure de Facebook et compagnie. Vacuité en temps réel, nouvel esclavage, e-médiocrité! Sortons la règle pour taper quelques doigts...

Maître du mondeInternet comme utopie
Marsan souligne le passage des promesses révolutionnaires du web (durant les années 90) à sa récupération marchande en 2000 (la bulle techno) et e 2007 (l'année où il fixe le virage 2.0). Le web 2.0, dit-il, est «étroitement associé à un fantasme égalitaire qui postule que le citoyen, bon de nature, saura oeuvrer à l'avènement d'un monde meilleur». Il compare ni plus ni moins les chantres du «triomphalisme internet» (qu'ils situent dans la Silicon Valley) à des hippies «avec une fleur dans les cheveux» qui cherchant à révolutionner le monde.

L'image fait sourire, mais pour lui, les hippies des années 70 sont ceux qui ont abandonné leur fleur pour une cravate et ont ensuite voté pour les gouvernements de droite et leur libéralisme à tout crin dans les années 80. «L'utopie internet a surtout donné naissance à des empires commerciaux d'envergure planétaire (au premier chef Google) qui n'ont rien à f... de l'amour universel : "They're only in it for the money"» (paraphrase d'un album de Zappa qui coiffe d'ailleurs l'article dans le journal).

La e-médiocrité
Ces accents de gauche (la "traîtrise" est un "concept" typique des gens de gauche, et qui n'existe pas à droite -normal puisque ces derniers n'ont aucun objectif commun sinon du chacun-pour-soi; Madoff n'est pas un traître, juste un financier maladroit) ces accents de gauche, dis-je cachent mal un mépris pourtant élitiste que l'on retrouve normalement à droite. «Le Web 2.0 [...] démocratise aussi l'insignifiance: ces millions de blogues illisibles, de vidéos ineptes sur Yutube, d'articles superficiels signés par des amateurs dans Wikipédia...».

Oui. 146 millions de blogues existent en 2010 (source), 24 heures de vidéos sont télémontées chaque minute sur YouTube (source), et Wikipedia Français a atteint le millionième article le mois dernier (source).

Je ne sais pas si vous saisissez l'ironie, mais l'humanité s'est doté de ces outils pour communiquer; elle a démocratisé la communication et nous en voyons pour la première fois les résultats. Traiter ce contenu de médiocre revient purement et simplement à traiter de médiocre l'être humain. Internet n'a pas généré ce contenu, mais c'est bien l'humanité elle-même; Internet n'a pas pu pervertir l'humanité en si peu de temps, Internet lui a seulement donné des outils. La médiocrité de ces «messages» le précédait.

Soi peuple et tais-toi
Je n'aime pas ce genre de rhétorique antihumaniste et antidémocratique où l'élite fait porter à Internet un crime de lèse-humanité. Le bouc-émissaire était condamné d'avance. Si Marsan devait écouter tous les chuchotements de la planète, «dans la vraie vie» (voir mon billet sur cette expression), il dirait probablement la même chose: que de médiocrités portées à ses oreilles! Il n'y aura que peu de voix pour gagner son respect: normal, l'humanité aura autre chose à faire que de vouloir promouvoir je ne sais quelle utopie il souhaiterait qu'elle porte.

Je ne sais pas si Zappa aurait réellement la nausée devant le web 2.0 (et si oui, il l'aurait alors pour l'humanité dans son ensemble), mais il est clair que ce discours prend racine dans une double méconnaissance du phénomène de surabondance d'information et de démocratisation tous azimuts de la communication. Quand il écrit:

«Cet univers [...] encourage aussi le repli sur soi et de nouveaux esclavages: ces millions de gens qui se regardent vivre sur Facebook, qui draguent exclusivement sur Internet par peur d'une rencontre sentimentale tangible, qui s'expriment sur tout et sur rien, qui document leur vacuité en temps réel ou presque...»,

il montre son dédain pour ce qui émane du peuple (écrire est sacré, le mode épistolaire ne devrait servir qu'aux nobles causes) et le vécu même des individus (comme pour le téléphone et le courrier, Internet transportent les préoccupations de chacun sans jugement). Il cherche à stigmatiser et non à comprendre. Les esclaves n'écoutent plus la voix de leur maître et préfèrent se parler entre eux. L'élitisme a la fâcheuse habitude de dénigrer ce qui vient de la base, per se.

Tirer sur le messager
Inutile de passer beaucoup de temps dans les réseaux sociaux pour se rendre compte qu'ils provoquent les rencontres plutôt qu'ils ne les inhibent. Plus on est branché, plus les occasions de rencontre se multiplient «dans la vraie vie». C'est même une stratégie émergente pour contrer la tendance lourde d'atomisation et d'isolement dans la société occidentale moderne. Quel usage a-t-il fait pour que Marsan arrive à de tels constats?...

La «vacuité en temps réel» dont il parle ne représente que l'absence de sens qu'il ressent face à ces conversations qu'ils captent au hasard des clics. Je le mets au défi de s'enregistrer en continu et voir si son niveau intellectuel se maintient tout le temps. Et que dire alors de ces moments plus «futiles» où il tombera fatalement? Que ce n'est pas de mes oignons, je n'écoute pas aux portes, et que probablement la valeur est tout entière dans la relation qu'il est en train de construire ou maintenir avec la personne avec qui il dialogue.

Et que cette valeur est incommensurable et intransférable: le sous-entendu du texte soi-disant «médiocre» est probablement d'une importance d'ordre relationnel et non pas intellectuel. Dans un monde de surabondance d'information, comme dans une rue très passante, il est de plus en plus probable de capter une conversation qui ne nous est pas adressée. Tout le monde a le droit de communiquer. Personne ne vous force à écouter. Le sens ne vous était pas adressé et est probablement hors d'atteinte...

Et si vous écoutez, ayez l'esprit ouvert pour entendre ces humains qui s'échangent humblement des stratégies de vie, banales pour vous, mais ô combien humain...

13 commentaires:

lundi, octobre 18, 2010 2:38:00 a.m. Guillaume-Nicolas MEYER a dit...

Et puis faire parler les morts, c'est tellement commode.

lundi, octobre 18, 2010 8:45:00 a.m. Martin Lessard a dit...

Guillaume-Nicholas, vu que Jean-Sébastien Marsan semble avoir une connaissance approfondie de Zappa, il est peut-être en droit de le faire parler, mais ce procédé est périlleux. Et vu le constat qu'il apporte, que je juge condescendant (les autres ne génèrent que futilités et babillages), prêter à Zappa des tonalités hautaine et méprisante est surprenant.

Le texte est publié dans la section Philo du Devoir, et on peut s'attendre d'un philosophe à rechercher «l'élévation de l'homme» face à «la vacuité du quotidien»: ici il montre probablement sa filiation nietzschéenne (et par ricochet celle de Zappa), exigeante, mais violente, qui rabaisse les faibles et encense les forts (il détestait ce qui était démocratique et avait une radicalité distinctive quant aux rapport de forces dans la société).

Faire parler Nietzsche aurait été plus percutant. Mais édulcoré dans un bashing primaire du web 2.0 n'est pas à sa hauteur.

Nietzsche assumait sa position,

lundi, octobre 18, 2010 9:40:00 a.m. Anonyme a dit...

Pour la latéralisation politique du «mépris élitiste», on peut dire que la plupart des usages d'Adorno qui vont dans ce même sens (dénonciation de l'«industrie culturelle» que la «masse» est incapable de percevoir) se retrouvent à la gauche du construit social «gauche/droite». Comme le racisme daltonien, le mépris dépasse les frontières idéologiques.

C'est quand même un peu surprenant de te voir te prêter au jeu du "flamebait". Marsan est si central, comme personnage?
Le chien aboie, la caravane passe.

lundi, octobre 18, 2010 3:48:00 p.m. Jean-Sébastien Marsan a dit...

Bonjour,

D'abord, merci beaucoup d'avoir pris la peine de commenter mon texte d'opinion publié samedi dernier dans Le Devoir.

Ensuite, votre billet m'incite à préciser certaines choses.

- Que de plus en plus de citoyens puissent communiquer grâce à Internet, c'est un formidable progrès. Je n'ai rien contre. Mais ce n'est pas parce qu'on communique qu'on dit quelque chose d'intelligent. Ce n'est pas parce que l'humanité est branchée en réseaux qu'elle est plus évoluée. Elle est seulement "ploguée" sur un dispositif technique.

- Plus on est branché, plus les occasions de rencontre se multiplient "dans la vraie vie", affirmez-vous. Ce n'est pas vrai, je ne vous crois pas. Je ne vois pas de lien de cause à effet. Personnellement, il m'est arrivé de rencontrer physiquement des gens qui étaient d’abord entrés en contact avec moi en m'écrivant dans mon blogue (ladrague.qc.ca) ou par courriel. Mais sur les milliers d'inconnus qui lisent mon blogue ou qui ont pris un jour l'initiative de m'écrire un courriel, je n'en ai rencontré que quelques-uns "dans la vraie vie"; sur le grand nombre d'individus avec qui je peux interagir en ligne, il n'y en a qu'une poignée que je réussirai un jour à regarder dans le blanc des yeux, pour la simple raison qu'il est plus facile de pitonner à longueur de journée devant un ordinateur que de se lever de sa chaise et organiser une rencontre concrète, tangible. Pour multiplier les occasions de rencontre "dans la vraie vie", il faudrait commencer par la fréquenter, cette "vraie vie"...

- Oui, j'aime les élites. Je veux vivre dans un monde où le travail original et de qualité est valorisé, et où le travail poche est désigné comme tel, avec une FRONTIÈRE entre les deux. Par exemple, si je tombe gravement malade, je veux être soigné par un membre de l'élite, c'est-à-dire un médecin, et je serai rassuré de savoir qu’il existe une frontière qui sépare les professionnels de la santé des charlatans.

- Je ne suis pas élitiste au sens où je cherche à encenser les forts et à rabaisser les faibles. Apprécier les élites ne m'empêche pas d'aimer la culture populaire. Les deux m'intéressent. J'aime d'ailleurs l'attitude artistique de Frank Zappa, qui accordait la même valeur à la musique savante qu'à la musique populaire. Mais le problème avec le Web 2.0, c'est qu'il n'y a plus de distinction entre l'élite et la masse, entre la culture savante et la culture populaire, entre le sérieux et le futile. Il n'y a qu'un énorme flux de bla-bla. Le Web 2.0, c'est du relativisme: tout se vaut et ne vaut rien. Et ça, c'est le contraire de l'humanisme.

Cordialement,

Jean-Sébastien Marsan

mardi, octobre 19, 2010 7:46:00 a.m. Guillaume-Nicolas MEYER a dit...

Monsieur Marsan, le web est une agora. Sur la place publique, il y a des conversations très intéressantes et d'autres moins. Il y a bien une différence entre la culture savante et la culture populaire. Tout le monde fait le distinguo entre l'autorité de l'article rédigé par un médecin et le "blabla" des forums de doctissimo.

Vous reprochez au web d'être ce qu'il est... C'est comme si vous instrumentalisiez Franck Zappa pour lui faire dire qu'un style de musique est bruyant...

mardi, octobre 19, 2010 8:11:00 p.m. Anonyme a dit...

Une entrevue de Hubert Guillaud avec Dominique Cardon, pour poursuivre le débat, modifier les perspectives...

http://www.internetactu.net/2010/10/07/dominique-cardon-pourquoi-linternet-na-t-il-pas-change-la-politique/

Luc, bibliothécaire :)

jeudi, octobre 21, 2010 8:58:00 a.m. Martin Lessard a dit...

Jean-Sébastien, merci de participer, c'est apprécié.

Vos quatre points me font réfléchir. Dans un premier temps, disons que je me rends compte que l'argument de dire "mon expérience me dit que..." ou "dans mon entourage on fait ça comme ça..." ou «Ce n'est pas vrai / c'est vrai» n'est peut-être plus appropriés à notre ère de segmentation des sous-cultures.

Je le fais volontiers sur mon blogue, car je parle à une audience restreinte et culturellement proche de mon expérience de vie. Mais quand deux sphères d'expérience se rencontrent, ce n'est plus pertinent pour la discussion (votre expérience du web 2.0 vaut autant que la mienne, sur la base de sa «consommation» --sur la base professionnelle, puisque c'est mon métier, ce n'est pas pareil, mais on ne se situe pas, dans cette discussion, sur la théorie).

Je dois admettre que vous pouvez affirmer que vous ne rencontrez pas autant de gens que ça grâce au web 2.0. Et de la même façon, vous ne pouvez pas nier que j'en rencontre beaucoup grâce au web. Sur ce point d'argumentation, la base de nos expériences n'est pas un argument (pour se convaincre du bien fondée de notre opinion). Autrement dit, il peut rester l'inspiration de notre argumentation, mais pas sa conclusion. Ce qui est en soi logique et même très sain pour de futures réflexions.

Je vais répondre à vos deux premier points dans le prochain commentaire (il y a une limite de caractères imposé par ma plateforme)

Les deux dernier points méritent que je réfléchisse davantage avant de répondre (et quand j'aurai un horaire du temps moins chargé). Ils contiennent des points qui poussent la réflexion à autre niveau et je ne voudrais pas manquer d'y participer. Le scinder en deux est souhaitable car je crois que les points 1et 2 ne sont pas dans la même catégories que 3 et 4.

jeudi, octobre 21, 2010 9:01:00 a.m. Martin Lessard a dit...

jean-Sébastien, suite de mon précédent commentaire. je vais me concentrer ici sur les 2 premier points

Sur votre premier point, par contre, même si je suis d'accord avec vous (« Ce n'est pas parce que l'humanité est branchée en réseaux qu'elle est plus évoluée.»), le corollaire inverse l'est tout autant (« Ce n'est pas parce que l'humanité est _débranchée_ des réseaux qu'elle est plus évoluée»). Un des points de mon blogue est de dire que le web 2.0 n'est pas une variable de l'équation: la «futilité» de la communication entre les humains est du même acabit avec ou sans amplificateur web. Je ne suis pas sûr qu'il vaille la peine de pointer du doigt le haut-parleur pour y dénoncer ce qui est débité. On ne parle de pirater les ondes de Radio-Canada pour occuper les esprits, mais biens de millions de conversations parallèles qui ne monopolisent pas un média limité. Ils sont «seulement "ploguée" sur un dispositif technique». On est d'accord. Le web n'est que le canal de «vacuité [généré] en temps réel», pas sa source, non?

Avec votre deuxième point, basé sur nos différences d'expérience du web, vous apportez un éclairage intéressant: de la même façon que la voiture me met à la portée de plusieurs villes autrement difficiles à rejoindre à pied, les réseaux sociaux permettent de rejoindre et «suivre» plus de monde que ce qui est possible sans les outils.

Malheureusement, ce n'est pas pcq je peux potentiellement visiter toutes les villes que je le fais tout le temps. Je reste limité dans mes déplacements, mais grâce à l'outil (l'automobile) mon champ d'action est élargi, la portée plus grande et la qualité de destination plus vaste (il y a plus de villes intéressantes dans un grand rayon que dans un petit rayon).

C'est pareil pour les réseaux sociaux. Ce n'est pas la quantité absolue qui compte, mais bien l'augmentation du potentiel de rencontres pertinentes. Si on a la chance d'avoir des intérêts partagés par beaucoup de monde pas trop loin d'où l'on habite (mais que l'on n'aurait pas découvert autrement que par les réseaux) on peut faire de belles rencontres. Pas quantitativement, mais qualitativement. Les «milliers d'inconnus» de mon blogue ont généré quelques rencontres mémorables et qui durent encore. Mais il reste des milliers dans l'ombre que je ne souhaite ni ne peux (tous) les rencontrer. Mais ceux que j'ai rencontrés, je reste en contact via le web.

Je ne sais pas si la communauté des fans de Frank Zappa est trop dispersée et pas assez vaste pour soutenir des initiatives de rencontre, dans plusieurs autres domaines (dans mon cas, la communauté techno est très active localement), il se peut que la motivation ou la densité ne fasse pas émerger les possibilités de rencontres (j'ai abandonné personnellement de vouloir rencontrer les fans de Umberto Eco ou Peter Sloterdijk pcq la masse critique n'est pas au rendez-vous).

Vos deux autres points ne demandent de rassembler ma pensée de façon cohérente. J'y reviens dès que je le peux...

vendredi, octobre 22, 2010 9:27:00 a.m. Martin Lessard a dit...

Rebonjour Jean-Sébastien,

Vous dites au troisième point: «Oui, j'aime les élites.» Le fait que j'ai insinué dans mon texte que vous étiez "élitiste" (et que vous répondiez promptement par l'affirmative) me donne à penser que ce terme est trop large pour être significatif dans notre discussion. D'ailleurs, le reste de votre explication me semble davantage concerner la "qualité" et le "professionnalisme" que "l'élite". Nul ne saurait vous contester. Moi le premier.

Faire un bon choix n'est pas faire preuve d'élitisme, à mon avis. Une élite refuse aux autres un statut et les outils pour s'y rendre. Le web 2.0 a démocratisé l'accès aux outils, pour les pros comme pour les amateurs. L'élite veut restreindre l'accès aux outils pcq elle considère que la plèbe ne saurait ni bien l'utiliser, ni en faire quelque chose de noble, en général sur la base de critères que seule l'élite "maîtrise" (définition tautologique).

Donc je crois que le sens de ce qu'on discute tourne autour de l'identification de «la frontière entre savants et amateurs», si on veut ne plus employer le mot élitisme, n'est-ce pas?

vendredi, octobre 22, 2010 11:03:00 a.m. Jean-Sébastien Marsan a dit...

Bonjour Martin,

Merci beaucoup d'avoir pris la peine de commenter mes commentaires et de préciser les axes de la discussion. Je vais commenter et préciser à mon tour.

Nos expériences respectives du Web social sont effectivement différentes. Nous n'utilisons pas le Web 2.0 pour les mêmes fins, donc ça ne servirait à rien d'essayer de déterminer jusqu'à quel point le Web 2.0 est un outil véritablement social, un moyen de faire des rencontres qui débouchent sur un lien tangible. Vous écrivez, sur les réseaux sociaux: «Ce n'est pas la quantité absolue qui compte, mais bien l'augmentation du potentiel de rencontres pertinentes.» Je suis d'accord avec vous là-dessus.

Vous avez aussi précisé le sens du mot «élitisme», et là aussi je suis d'accord avec vous. L'objet de mon texte dans Le Devoir de samedi dernier était effectivement la dissolution de «la frontière entre savants et amateurs».

Maintenant, j'aimerais ajouter des précisions sur ce que je pense du Web 2.0.

Ce que je voulais souligner avec mon texte pour Le Devoir, c'est que les promesses du Web 2.0 ne se sont pas matérialisées. Le Web dit «social» est aujourd'hui une utopie naïve récupérée par le commerce.

Vous avez réagi en me reprochant de tirer sur le messager. Pour vous, «la "futilité" de la communication entre les humains est du même acabit avec ou sans amplificateur web.» C'est vrai... mais l'amplificateur web commence vraiment à faire trop de bruit!

On dirait que tout le monde a oublié qu’avant l'invention d'Internet, quand une personne se levait le matin avec un mal de tête, cette information n'était pas publique. Maintenant, des millions de gens écrivent sur Facebook ou Twitter qu'ils se sont levés ce matin et qu'ils ont mal à la tête. C'est insupportable à la longue.

Qu'on me comprenne bien: je suis un utilisateur des réseaux sociaux, je les trouve efficaces. Sur le plan micro, les réseaux sociaux constituent un progrès. Par exemple, je retrouve des amis grâce à Facebook; je partage des photos sur Flickr; je me sers d'un blogue ou de Twitter pour documenter un phénomène qui m'intéresse, des utilisateurs réagissent à mon travail, etc. Je suis heureux de profiter de la démocratisation des outils de communication sur le Web.

À large échelle, en revanche, c'est la catastrophe: nous sommes envahis par un épouvantable «bruit», ces millions de gens qui publient n'importe quelle futilité, jusqu'à l'écoeurement. Et à mes yeux, ce phénomène social n'a rien de révolutionnaire. Je dirais même que c'est une régression, notamment parce que ça noie le travail de l'élite dans la médiocrité.

En passant, j'aurais dû préciser dans mon texte pour Le Devoir que le mot «médiocre» ne veut pas dire «raté», «nul à chier», mais «banal», «quelconque»,
«ordinaire» (c'est la définition du dictionnaire Robert). Le Web social, pris dans son ensemble, c'est terriblement ordinaire. Et ennuyant.

Tout un discours idéologique tente pourtant de trouver des vertus au Web 2.0. C'est la même rengaine que celle qui a jadis accompagné le développement de la télévision, cette supposée «fenêtre sur le monde» qui devait nous ouvrir les portes de la connaissance; dans les faits, la télévision est une excellente manière de rester enfermé chez soi et de perdre son temps. En seulement un demi-siècle, la télévision a disloqué la vie familiale, éliminé ou affaibli de nombreuses activités de groupe, engendré une culture de la solitude et de la passivité, et elle est aujourd’hui presque complètement dominée par le commerce.

Le discours sur le Web 2.0 me tombe sur les nerfs. Et samedi dernier, je me suis servi des opinions politiques de Frank Zappa pour illustrer mon écoeurement. «Web 2.0 sucks!»

samedi, octobre 23, 2010 8:54:00 p.m. Hoedic a dit...

Le simple fait que l'auteur d'un article dans un grand journal puisse échanger avec un de ses critiques est un élément intéressant sur le sujet discuté: Une idée peut être débattue, le medium ouvre des possibilités.

Je suis 100% d'accord pour dire que ça regorge de médiocrité, mais personne n'oblige à le lire. Ma page Facebook est d'une inanité quasi-absolue mais je ne force personne à la lire.

C'est certain qu'avec Internet, le quidam doit se doter d'un filtre à contenu pour apprendre à digérer ce bruit, voir le savant quand on le cherche, se complaire dans le léger d'autres fois. Je me suis souvent demandé si à long terme les utilisateurs d'Internet (et de web 2.0, terme que j'exècre) allaient devenir fous à lier. La réalité actuelle est que cela bâtit des chemins cognitifs qui ne sont pas nécessairement bons, mais qui ne semblent pas nous rendre fous.

Personnellement, un élément qui me semble plus intéressant que la discussion de savoir si le Web 2.0 sucks ou non, est plus de savoir pourquoi autant de monde se vautre dedans!

(Je ne connaissais pas Zappa outre mesure, votre article m'a donné l'occasion d'approfondir un peu)

dimanche, octobre 24, 2010 5:42:00 a.m. Martin Lessard a dit...

(Jean-Sébastien, ce commentaire sera ma réponse à ton quatrième point)

Hoedic, merci de rajouter votre point de vue à la discussion. Quand vous posez la question «pourquoi tant de gens y participent» je suis enclin à y voir le sous-ententendu suivant: «pourquoi tant de gens se vautrent dans la médiocrité».

Il y a quelque chose qui me titille avec l'usage du terme «médiocrité» pour qualifier le web 2.0.

Et j'ai l'impression que vous venez de me faire réaliser quelque chose: on amalgame ici "goût" (point de vue indiscutable) et "statistique" (mathématiquement neutre).

Je me dois de clarifier les termes et cela expliquera nos différences de perception (et qui sera mon commentaire à au quatrième point de Jean-Sébastien).

Une moyenne, mathématiquement, est cette ligne qui sépare ce qui est mieux [+] de ce qui l'est moins [-].

Communément, on situe la moyenne de façon plus floue: elle est cette masse au milieu de deux extrêmes (illustré comme une courbe en forme de cloche). Ex : la classe moyenne.

En général, dans le langage courant, tout tombe, en gros, dans la moyenne, sauf les exceptions (extrêmes positifs ou négatifs).

Médiocre, strictement parlant, est attribué à quelque chose dont la valeur est inférieure à la moyenne. Communément, on emploie ce mot pour quelque chose qui n’est pas très intéressant ou qui est très mauvais.

J'y vois une potentielle confusion des usages quand on dit que le web 2.0 est médiocre («sucks»). Ça me semble être à la base de la divergence des opinions.

Je vais essayer de clarifier et dites-moi si ça fait sens.

Il y a deux façons de se mélanger:

[a] soit on dit que les contenus en ligne sont «médiocre» dans le sens qu'il sont dans la moyenne. Alors on ne dit rien sur le contenu et tout sur notre préjugé («tout est moyen, sauf l'excellence, et je trouve médiocre cette moyenne»)

[b] soit on dit que les contenus en ligne sont «médiocres» dans le sens qu'ils sont franchement mauvais (minables). Alors on a affaire à une minorité de cas (l'extrême négatif) et du coup on ne peut plus dire que le web 2.0 «sucks» en moyenne.

Entendons-nous pour dire que médiocre est pire que la moyenne.

- Si c'est le cas, la médiocrité est une exception (l'extrême négatif) et toute la discussion autour de «tant de gens qui s'y vautrent dedans» ne tient plus.

- Si ce n'est pas le cas, alors médiocre rime avec moyenne. Et donc on a condamné d'avance ce que l'on prétendait juger.

Je ne vois donc pas d'autre façon de décrire l'élitisme (qui est cette tendance, à favoriser arbitrairement ce que l’on considère comme meilleure sur une base jugée d'avance). À moins de se mélanger involontairement dans les termes. Sinon en maintenant sciemment dans les deux cas indiqués plus haut, [a] et [b], on est élitiste de dire que le web 2.0 «sucks».

Mon point n'est pas d'en arriver à accuser qui que ce soit d'élitiste (on a vu plus haut dans les commentaires que les intentions de départ étaient davantage axées sur la volonté de trier le bon grain de l'ivraie) mais peut-être de démontrer que parler de "moyenne" (et de "médiocrité") ne tient plus dans le web 2.0.

J'aimerais que l'on comprenne que la courbe de loi normale (courbe en forme de cloche) est un mauvais outil pour décrire le web 2.0 et qu'une courbe de loi de puissante (courbe de longue traîne) est plus appropriée.

Une longue traîne permet de démontrer que pour tout domaine, il n'existe qu'une extrême minorité de cas qui retiendra notre attention (position à la tête de la courbe) et que l'écrasante majorité se trouve dans des positions inférieures (la queue de la courbe).

Il est donc normal que le web 2.0 «sucks» en moyenne, qu'importe le point de vue où on se place.

vendredi, décembre 24, 2010 8:30:00 a.m. Martin Lessard a dit...

Tiens, une belle citation de Zappa, pour le temps des fêtes:

L’information n’est pas la connaissance. La connaissance n’est pas la sagesse
La sagesse n’est pas la vérité. La vérité n’est pas la beauté
La beauté n’est pas l’amour. L’amour n’est pas la musique
La musique est la meilleure des choses
Frank Zappa (Packard Goose)

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