ZEROSECONDE.COM: Égypte: le rôle des médias sociaux dans la chute de Moubarak (par Martin Lessard)

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Égypte: le rôle des médias sociaux dans la chute de Moubarak

La rue a finalement eu raison de Moubarak. Mais même si c'est probablement la main «invisible » de l'armée égyptienne qui est derrière la démission-surprise, il y a une heure, de Moubarak de la présidence (après 30 ans de dictature), c'est évidemment la pression populaire qui l'a forcé (lui ou l'armée) à agir. Un exemple de plus, aussi, à mettre sur le compte des médias sociaux...
Noubarak Démissione
Avant de commencer, on s'entend ici pour dire que les «réseaux sociaux» (numériques) n'ont pas inventé les «réseaux sociaux» (humains).

Les réseaux sociaux ont existé de tout temps et précèdent naturellement les réseaux socionumériques. Ce que les réseaux sociaux sur Internet ont apporté c'est la possibilité de garder des traces des échanges dans ces »réseaux sociaux». Des traces écrites ou audiovisuelles. Donc des traces qui permettent de revenir en arrière, comparer, évaluer, juger.

Et aussi de pouvoir s'affranchir de la seule parole comme véhicule de transmission.

Les «médias sociaux», ce sont ces outils qui permettent de communiquer en groupe, en asynchrone ou en direct, selon des modalités très semblables aux médias de masse. La légèreté en plus. Le contenu qui y circule est modulé selon les vrais besoins (ou envies) de ses émetteurs/récepteurs.

Et il arrive ce qui arrive.

Dans le New York Times de dimanche dernier, un récent article décrit très bien le rôle des médias sociaux dans la création des manifestations en Égypte ( «Social media has fueled the fires of the Egyptian protests.»).


L'article décrit comment Khaled Said, un jeune de 28 ans, s'est sauvagement fait battre à mort par deux policiers en civils, en juin dernier, dans un le hall d'un immeuble. Dans la semaine même du drame, une page fut créée sur Facebook (We Are All Khaled Said) qui montrait des images de son corps, méconnaissable, à la morgue, ainsi que des vidéos captant l'attaque sauvage.

130 000 personnes se joint à la page et l'on partagé à leur réseau. Ce qui veut dire que ce sont 130 000 réseaux personnels qui ont été potentiel touché.

«La mort de M. Said est peut-être l'exemple le plus frappant du pouvoir spécial des outils de réseautage social comme Facebook même --ou surtout-- dans un état policier». La page a servi de catalyseur du mécontentement des Égyptiens abonnés. Même s'il existait des vidéos sur YouTube et des blogues sur la brutalité policière, ce cas a créé une communauté autour de ce sujet.

Un paratonnerre de colère

Ce qu'il faut comprendre c'est que même s'il est évidemment difficile d'isoler l'impact réel des médias sociaux pour engendrer les manifestations monstres, il est clair qu'ils permettent de colliger des traces des abus policiers et de catalyser une colère qui se partage ensuite plus facilement.

Les photos et les vidéos sur Khaled Said sont des preuves que l'on se passe et qui ont l'avantage de parler d'elles-mêmes. L'indignation pouvait enfin se concentrer sur un fait incontestable de la répression policière.

C'est cette indignation qui s'est propagée sur les médias sociaux, via Facebook, Twitter, YouTube et les SMS. Car tout le monde pouvait être le prochain Khaled Said.

Sous les gazouillis, la révolte

La vidéo de Khaled Said sur Facebook a été vue par 500 000 personnes. Dans un pays de 84 millions, les blasés peuvent en nier l'importance. Sauf si on se rappelle que ce n'est pas seulement un demi-million de personnes, mais bien un demi-million de réseaux sociaux personnels qui ont été touchés. Pourtant un blasé a écrit:

«S'il fallait en croire certains, sans Facebook et Twitter, il n'y aurait jamais eu de soulèvement en Tunisie et en Égypte. En a-t-on assez lu de ces reportages jovialistes décrivant une jeunesse arabe mondialisée qui passerait ses longues journées à gazouiller sur ces nouveaux médias prétendument "sociaux"?» (Christian Rioux, Journaliste au Devoir)

Je ne sais plus m'expliquer ce lancinant malaise à propos du phénomène des médias sociaux, chez ce chroniqueur en particulier, autrement perspicace sur tous les autres sujets, mais il semble qu'il tombe dans le panneau de chercher à coller une cause unique à des phénomènes complexes (un genre de syndrome d'Archiduc Ferdinand d'Autriche, dont l'assassinat, on le sait, à provoqué l'épilepsie sanglante de la Première Guerre mondiale).

De fil en aiguille

Les réseaux socionumériques permettent une propagation et une coordination qui n'existaient pas avant. Il n'y a pas de cause unique, ni une façon d'isoler facilement son apport. Mais en Égypte, on peut voir un fil conducteur.

La mort de Khaled Said n'est pas la cause de la révolte. Elle est une des étincelles, certes, car il a fallu beaucoup de brins de paille pour embraser Le Caire.

Comme il y avait maintenant 500 000 personnes sur la page de Khaled Said sur Facebook, il devenait tout à coup très simple de publier des invitations à joindre des manifestations dans la rue. Ce que l'administrateur anonyme de la page ne s'est pas privé de faire.

Avec des conversations dans les réseaux sociaux (numériques) qui se muent en foules dans la rue, ayant en leur possession des preuves convaincantes de la brutalité policière, l'État s'est vu forcé d'arrêter les deux policiers. Mais d'autres cas de brutalité mortels ont surgi; les protestants ont continué à se réunir de plus en plus souvent durant l'automne suivant.

Et puis arriva la Tunisie. Avec le succès qu'on lui connait. La voie était montrée.

Alors les groupes Facebook se sont donné le mot pour appeler à une manifestation monstre au Caire le 25 janvier (d'où le hashtag #jan25) et le reste est passé à l'Histoire.

Un (seul) Twitter ne fait pas le printemps

On peut voir les réseaux sociaux comme une étincelle ou un combustible qui met le feu aux poudres (ou l'accélère), même si cette même étincelle ne peut plus grand-chose une fois l'incendie allumée.

Moubarak, comprenant trop tard ce qui s'est joué dans les réseaux socionumériques, a tenté de débrancher internet et de noyauter les groupes Facebook. Mais le vieux dictateur, dépassé par les événements, convaincu que le contrôle des médias traditionnels était suffisant (on se rappelle la pathétique adresse à la nation hier soir) s'incline maintenant devant le printemps arabe qui s'est installé dans son pays.

Source: New York Times «Movement Began With Outrage and Facebook Page That Gave It an Outlet», par Jennifer Preston avec David D Kirkpatrick, Kareem Fahim et Anthoiny Shadid, en direct du Caire).


Photo: Suhaib Salem/Reuters

2 commentaires:

dimanche, février 13, 2011 6:55:00 a.m. Christophe Benavent a dit...

Oui, oui, oui. Mais reste à faire une analyse plus précise des mécanismes, ou plutôt de ce comment les réseaux sociaux affecte la dynamique des mouvement sociaux. Une hypothèse fondée sur le modèle Exit/voice de A.O Hirschmann, permet de mieux comprendre le "changement de régime" ( silence vs protestation). L'argument est développé ici :
http://i-marketing.blogspot.com/2011/01/revolution-will-not-be-televised.html

lundi, février 14, 2011 8:36:00 p.m. Martin Lessard a dit...

Christophe, oui, tout à fait, le mécanisme n'est pas explicité clairement dans mon billet. Je fais tenir le rôle d'adjuvant pour une partie de la colère de la population, ou pour être plus précis, pour véhiculer une partie de la colère (ce que tu écris sous la forme « prise de conscience sociale de l'insatisfaction des autres, rendant plus probable la réponse à un niveau moindre d'insatisfaction») sans entrer dans les détails.

J'avais en d'autres termes, dans d'autres billets, expliciter davantage le mécanisme, sans atteindre, peut-être pcq je l'ai fait de façon trop concise, le degré de démonstration atteint dans ton billet. Merci.

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