ZEROSECONDE.COM: janvier 2011 (par Martin Lessard)

ZEROSECONDE.COM

Impacts du numérique sur la communication, notre société, nos vies.

3 liens pour comprendre les Kindle Singles

3 petits liens ce matin pour souligner la sortie des Kindle Singles d'Amazon: des livres plus courts, sous forme électronique, pour une époque pressée. Ne vous trompez pas, malgré que ce soit une certaine forme de repackaging/rebranding des eBooks, c'est tout UN changement tellurique qui peut se produire dans le l'industrie du livre. Les liens suivants vous le démontreront.
Un "single" pour Kindle c'est :
- un livre de 5000 à 30 000 mots (environ 15 à 90 pages)
- un prix entre 0.99 $ et 4.99 $ (en général c'est entre 8 et 14 $)
- et qui portera sur une seule idée forte, bien documentée, bien argumentée et bien illustrée
- Boutique Kindle Singles  
Amazon invente le livre "single", d'Olivier Ertzscheid

Ce n'est ni pour la forme (le format ebook "court" existe déjà), ni pour le prix , mais c'est sa ressemblance avec l'industrie musicale (où le «single» à 0,99$ du Apple Store a sauvé la peau de l'industrie de la musique) qui  fera «du "single" LE vecteur de sa stratégie de diffusion au détriment de "l'album"» et «autorisera, comme les "singles" musicaux l'autorisèrent, un déferlement littéralement vertigineux, un fractionnement quasi infini de ce qui peut être un livre, de ce que peut être un livre.»
On n'achète pas une bibliothèque comme un livre, de Jean-Michel Salaün

Avec «l'arrivée du web et surtout la montée des tablettes modifient considérablement la donne et l'attitude du lecteur. Sur un Kindle ou un iPad, on n'achète pas un livre, on se constitue une bibliothèque». La petite révolution consiste à retourner la conception actuelle de la valeur éditoriale d'un livre (et de supposer une élasticité de la demande globale de livres par rapport à leur prix. Autrement dit, de supposer qu'un livre, ou plutôt un titre, est concurrent d'un autre en fonction de son prix, que les livres sont peu ou prou interchangeables»
L’ogre Amazon aux pieds d’argile, d'Hubert Guillaud

Les Singles sont «une offensive aussi redoutablement structurante que celle de l’iTunes d’Apple pour la musique». «Amazon est devenu le vendeur incontournable du livre électronique en se constituant un catalogue à nul autre pareil» ; Le marché ne  «décollera pas tant qu’il sera verrouillé, que ce soit par des DRM ou par des formats trop spécifiques».

Les nations seront dépassées

« Grâce à la liberté des communications, des groupes d'hommes de même nature pourront se réunir et fonder des communautés. Les nations seront dépassées. »


Non, cet aphorisme n'est pas d'un commentateur éclairé de la scène actuelle du Proche-Orient, emportée par les éclats de foules et les feux de protestations contre les potentats corrompus qui les gouvernent.


La citation est bien de Nietzsche (Fragments posthumes XIII-883 - VP°IV,76), reprise par Enthoven en 2009 (L'Express), qui l'a citée de nouveau il y a deux semaines à son «podcast hertzien» Les Nouveaux Chemins dans le cadre d'une semaine sur le philosophe allemand.


Tunisie, Égypte, Algérie, Yémen, Jordanie, tout s'embrase, via les technologies de l'information. Télé, radio, internet.


Les régimes cherchent tous à empêcher que l'on sache qu'une révolution est en cours. Et voilà que l'Égypte vient de couper internet. On empêche (illusoirement) par tous les moyens les gens de se regrouper virtuellement avant qu'il ne le fasse dans la rue. Internet est coupé? Déjà on voit ressortir les vieux modems pour le recréer, cet internet, et la fondation de communauté continue.«Grâce à la liberté des communications, des groupes d'hommes de même nature pourront se réunir et fonder des communautés. Les nations seront dépassées ».


Bon, bien sûr, il faudra voir encore si la demande de «démocratie» des manifestants ne sera pas au final un cheval de Troie pour l'islamisme, cauchemars de l'Occident.


Mais l'apport de la «liberté des communications», toute relative qu'elle est, alimente la porosité des nations au profit de «sphères» (pour reprendre l'expression de Sloterdijk) où «[l]e lien d'analogie entre voisins [...] ne naît ni par inspiration commune, ni par commerce linguistique, mais sur la base d'une contamination mimétique grâce à laquelle un modus vivendi [...] se propage dans une population» [Sloterdijk, Sphères III: Écumes].


Comment accepter une condition locale quand «l'ailleurs» nous montre des voies alternatives pour «mieux vivre»? Les frontières n'apportent plus l'immunité souhaitée pour garder les cultures nationales isolées.


La télévision avait ouvert la voie. Sous la forme de fiction. Les séries télé, probablement plus que les journaux télévisés, avaient offert à des populations assoiffées de rêves des mondes idylliques. Les scénarios hollywoodiens comme succédanés de «l'ailleurs idéalisés». Mais nuls n'étaient si dupes pour prendre à la lettre ces images.


Alors l'échange par internet a pris le relais et a transmis des «vraies images», des «vrais messages» et des «vraies réalités». À côté, certains vivent à un clic d'un monde différent auquel on peut aspirer.


Ce qui était une pensée esseulée, isolée, trouve lentement sa communauté. «Je ne suis plus seul à penser cela». La conviction se renforce. Et quand on voit que sur la place publique, dans les cercles dirigeants, on étouffe cette vérité, on est convaincu que l'on peut sortir des nations fictives et que l'on ne sera plus seuls pour renverser l'histoire...


En complément:


À quoi ça sert de s'activer sur Internet ? Doctorow répond à Morozov sur le blogue de Framablog. Essentiel.

Le Printemps arabe. Un petit dossier du Devoir

Quand la technologie remplace la discussion… Sur InternetActu sur la question «du fait que notre attention se disperse et que, pour maintenir et améliorer l’attention que nous accordons à nos relations électroniques, nous recherchions celle que nous accordions à nos interlocuteurs physiques.»

A Declaration of the Independence of Cyberspace - John Perry Barlow






Vie et mort dans le virtuel

Marie D. Martel (Bibliomancienne) rapportait samedi comment on meurt de la mort vraie dans les mondes virtuels. Elle décrit la façon dont le jeu, World of Warcraft, est utilisé comme « dispositif pour la mise en place d’un rituel funéraire: une ritualisation opérée par des avatars autour d’une souffrance partagée par une communauté ».




Ces mondes virtuels sont des manières de se créer un double / un avatar pour entrer en relation avec d'autres personnes (d'autres avatars). La technologie aidant, l'aspect le plus remarquable (et remarqué) reste la création en 3D d'espaces pour permettre aux avatars de se mouvoir. Et qui trouble beaucoup de gens quand vient le temps de se poser des questions naïves (comme «est-ce bon ou mauvais?»).

Le réalisme de cet espace, similaire dans son aspect visuel avec le nôtre («dans la vraie vie») ne se retrouve pas toujours dans «d'autres espaces» où nous avons nos «doubles»: échange épistolaire, blogue, émission de télévision où nous portons aussi des «masques»

Je tiens à préciser ici que je suis de ceux qui croient que les relations humaines passent par des «mises en scène» qui ne sont pas l'apanage exclusif des mondes virtuels 3D : Twitter, Facebook, nos échanges courriel et même nos cocktails sont des formes de construction d'une identité publique (même si moins visuelle) où on met de l'avant des caractéristiques personnelles et où on en cache d'autres.

«Contrôler son image» veut dire que l'on contrôle ce qu'on laisse diffuser ou non dans un espace, qu'il soit virtuel ou non, c’est à mon avis une autre façon de «se masquer» et d'entrer en relation avec les autres. Le numérique n'a pas le monopole du « bal masqué»: nos habits, notre maquillage, les endroits que nous fréquentons «dans la vraie vie» sont autant de facettes de notre personnalité que l'on met en scène.

Second Life, World of Warcraft, etc participent du même processus social: ils sont seulement très fortement axés sur l'avatar.

Il n'y a pas en soi de problème à utiliser ces mondes. On peut soit s'y amuser ou entrer en relation significative avec les autres. Si problème il y a, c'est quand on s'en sert pour éviter d'entrer réellement en relation avec les autres. En dénigrant sa propre personnalité (sous le prétexte qu'il ne serait pas «montrable») et en valorisant trop son double chimérique (l'avatar numérique que l'on se construit ou le personnage qu'on invente dans les cocktails), on risque d'affaiblir davantage ses chances de se sentir bien dans sa peau.

Mais je parle ici probablement de cas extrêmes, pathologiques, et je ne crois pas qu'il faille stigmatiser les usagers de ces mondes à cause de l'usage excessif de certains. Il est vrai que l'abus, particulièrement chez les jeunes, empêche de se développer socialement «dans la vraie vie» à un moment critique de leur vie. Mais la plupart des usagers ont un usage sain et ludique de ces mondes. Des formes d'amitiés ou, du moins, des modes exploratoires de relations humaines procurent sûrement des avantages, sinon comment expliquer qu'ils y soient?

Le «rite funéraire» que décrit Marie dans son billet participe du même mouvement. On se réunit là où la relation a eu un sens. Parfois il transcende les mondes et des liens se bâtissent «dans la vraie vie». D'autre fois, le lien est plus «réel» dans le virtuel.

De tout temps, les humains aiment les histoires: on s'immerge dans les films ou on plonge dans des livres. Second Life et consorts offrent encore plus: vivre une histoire dont on est vraiment le héros... Même pour sa propre mort...

Image: Shibuya

Tout au même endroit

Les effets que la surabondance de l'information induit sur la société se reflètent à plusieurs niveaux et je crois qu'il provoquera des changements possiblement gigantesques (positifs ou négatifs) sur la culture et les citoyens. Le dernier en date est «l'information en temps réel», comme on a pu le voir récemment avec la révolution de jasmin en Tunisie, mais aussi, plus prosaïquement, dans notre vie de tous les jours, sur Twitter ou Facebook, y compris les SMS (il n'est pas rare que l'on envoie 100 messages par jour, tous canaux confondus).

Je m'interroge sur les raisons que l'on a de vouloir se plonger dans ce déluge d'information et je me suis posé la question sur la façon que l'on a réagi au tout début de la vague.

Il est bon de se rappeler que la première «mode» sur les tous premiers sites web, à peu près entre 1993 et 1999, a été de bâtir des interfaces surchargées, «bruyantes» et animées (il en existe encore quelques artefacts sur le web si vous cherchez bien). Mais pourquoi donc?


Il faut se mettre en contexte. Avec l'arrivée du web (et des navigateurs Mosaic et Netscape) le grand public accédait, simplement et rapidement, pour la première fois à une énorme quantité d'information, et ce à partir du même endroit: l'écran de son ordi. Auparavant, pour réunir toute cette information, il ne fallait pas compter en secondes, mais en jour.


On a peut-être déjà oublié, mais de tout temps il a toujours été difficile de chercher et de trouver de l'information (voilà pourquoi on paye les journalistes, les professeurs et les bibliothécaires). Trouver l'information demandait un certain savoir et un savoir-faire certain puis, être en mesure de se déplacer ou d'être mis en relation avec les sources.

Écran d'abondance

Or au début du web, les internautes faisaient pour la première fois l'expérience d'avoir tout à la portée de main (littéralement, c'est le cas aujourd'hui avec le iPad). Quand on passe d'une époque où l'information est rare et dispersée, il a été normal que le premier réflexe ait été de tout mettre en tas à l'écran, pour montrer justement que «tout» était là.


Les premiers sites étaient aussi laids les uns que les autres, surchargés et durs à naviguer. Remettons-nous dans l'esprit de l'époque. Quand chercher hors web est long et fastidieux, alors, même face à des «sites laids et lourds», le simple fait de «tomber» sur une mine d’information était un net avantage.

Le souci des «webmestres» consistait simplement à «rendre accessible» tout ce qui était possible. L'usager se grisait avec la «quantité» d'information que le site lui livrait en quelques clics.

Remémorez-vous l'interface de Yahoo. Un capharnaüm. Et le site phare du web 1.0. «Tout au même endroit».

Et c'est par contraste que le héraut du web 2.0, Google, annonciateur des interfaces épurées des années 2000, fit comprendre que «tout au même endroit» ne veut pas dire tout à l'écran...


On dirait que si la première réaction a été de «fêter» la surabondance de l'information en l'affichant sans nuance, on s'en lasse assez rapidement. «L'information en temps réel» suivra probablement le même chemin, même si je ne sais pas quel chemin il va prendre. Le filtrage social est une première stratégie.

- Mais comment la gestion des flux de son réseau se fera de façon organique?

- À quoi ressemble une architecture de l'information d'un graphe social?

- Comment bâtir une ergonomie cognitive du «temps réel»?

Wikipédia a 10 ans

Avec Stéphane Baillargeon à la tête de la page Convergence du Devoir, on peut enfin voir régulièrement des informations, plutôt objectives, et moins dénigrantes, sur le thème "internet". À preuve, ce matin, trois articles, un sur Twitter, l'autre sur Mail.ru et un billet sur Wikipédia a l'occasion de ses 10 ans.

Dans ce billet, de Stéphane Baillargeon, Wikipoche, il dépeint la portion sur les articles québécois de l'encyclopédie ouverte comme étant "poche": il s'étonne que les pages concernant le Québec soient de si piètre qualité et se met à rêver d'une grande "corvée de nettoyage" où il voit «les collèges et les universités du Québec [s'occuper] du portail Québec" sur la portion francophone de Wikipédia.

Il pousse maintenant l'idée jusqu'à affirmer que «l'exercice de vérification et de rédaction serait même très formateur pour les étudiants». On voit tout le chemin parcouru depuis son dossier en février 2009 sur le sujet (voir ici). Et surtout quand on sait que son collègue Christian Rioux voue aux gémonies cette idée de laisser les élèves modifier l'encyclopédie (disant du même souffle, CQFD pour ce qui est de la qualité sur Wikipédia) (Source). Que cette idée, portée par Prenzki depuis quelques années, s'étale dans le Devoir de la part d'un de leurs chroniqueurs, on sent que le journal qui a 101 ans est bien au 21e siècle...

Cette idée d'avoir des ambassadeurs numériques est loin d'être farfelue pour des petites nations comme le Québec -- qui n'arrive même pas à faire imposer, pour son propre sport national, des termes comme «bâton de hockey» et «rondelle», écrasé par la francophonie qui n'y voit que "crosse" et "palet" (cité dans l'article de Baillargeon).

Mais rien n'empêche le Québec de cesser de vouloir jouer les règles d'un jeu foncièrement inégal par définition et de commencer à supporter directement ou indirectement les organismes ou les gens qui cherchent à s'impliquer... Via les subsides du gouvernement? Pourquoi pas. Le monde de l'éducation devrait en faire un laboratoire grandeur nature? Probablement que oui. Les associations d'historiens, des chercheurs ou des organismes communautaires? comme condition à une subvention, ça pourrait marcher.

Les idées ne manquent pas. Le numérique est un territoire à conquérir. Bonne fête Wikipédia.

(MàJ) Dossiers à lire en complément: (merci à Chrism)
Critiquer Wikipédia sans passer pour un rétrograde qui n’a rien compris à la révolution 
Wikipédia et éducation : un exemple de réconciliation

(MàJ2) Merci EspaceB
- Excellent Jean-Noël Lafargue : «Wikipedia a 10 ans» (plus développé que mon billet)
- Aljazeera:  Look it up: Wikipedia turns 10

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Liens rapides du 7 janvier

Info, journalisme, en ligne

La gestion de l'information à l'ère de Wikileaks... et ses dilemmes [Paris Tech Review]
Avec WikiLeaks il s’agit de «la première confrontation majeure entre l’ordre établi et la culture internet». Or les entreprises aussi ont aujourd’hui en main des données sur leur clientèle vulnérables à des fuites préméditées ou accidentelles...

Hypernews, Hyperreaders and Beyond [Journal of Electronic Publishing]
Le lecteur à l'ère électronique: la relation avec le journaliste aujourd'hui. Un regard méthodique.

Pour en finir avec le journalisme citoyen [Aurélien Viers]
Tiens, pour compléter l'article précédent et faire remonter une excellent billet posté il y a 2 ans sur le «témoignage participatif», terme plus approprié que "journalisme citoyen" et moins ésotérique que «hyperreader».

Réseaux sociaux

Your Followers Are No Measure of Your Influence [Advertising Age]
Mélangerait-on popularité et influence? Le «Tipping point» versus la bonne vielle méthode d'arroser tout le monde.

Comment adapter les médias sociaux dans sa stratégie
Une présentation de l'agence Dagobert qui introduit les principes de base des médias sociaux comme Twitter, Facebook, Youtube, blogs, Foursquare et Slideshare. (débusqué par Julien Bonnel)

La gestion de communauté
«Your»...la «Junior-Entreprise» de l'ISC Paris nous offre une introduction sur le sujet