ZEROSECONDE.COM: février 2011 (par Martin Lessard)

ZEROSECONDE.COM

Impacts du numérique sur la communication, notre société, nos vies.

Comme entendu dans les médias sociaux

En entendant à la radio de Radio-Canada, depuis quelques jours, des reportages qui couvrent la révolte en Libye raconter ce qui se passe là-bas via la lecture des tweets en arabe, on sent bien que l'écosystème de l'information cicatrise bien la greffe des nouveaux sur les anciens médias.

motoreillaJ'y vois une confirmation supplémentaire que l'écosystème nouveau est fonctionnel avec, à la tête, les médias qui tentent d' harnacher le flux des médias sociaux. (lire ma série de 3 articles sur le sujet)

Il en reste évidemment certains pour critiquer les contenus que l'on retrouve sur ces réseaux sociaux comme étant futiles ou pire, de la désinformation.

En fait, ils regrettent qu'Internet ne soit pas «édité a priori», pour que seule la qualité circule. Partout où leurs yeux d'experts de l'info se portent, ils ne voient aucune qualité.

Une partie du malaise (de la «blessure narcissique») tient au fait qu'ils se considèrent comme LES experts de l'info, or, leur statut dépendait beaucoup plus du monopole de l'info qu'ils avaient qu'une quelconque expertise exclusive. Cette exclusivité leur a été ravie. Dont acte.

S'ils voient encore peu de qualité dans les nouveaux médias sociaux, c'est qu'ils persistent à penser à une édition centralisée et a priori, or le système est renversé. Pour le meilleur ou le pire, ce n'est plus le centre, mais la périphérie qui tri et qualifie a posteriori.

Le jugement critique est décentralisé et le reportage des faits l'est autant. (voir mon billet sur Publier maintenant, trier plus tard)

En l'absence de journalistes dans une Libye en train de s'écrouler, il est possible, pendant un certain temps, avec les précautions nécessaires, trier le flux de cris provenant de la rivière de sang. Certaines larmes ne mentent pas.

Image via Laurent Vermot-Gauchy

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Ecosysteme de l'information (1/3): Twitter Surge

Ecosysteme de l'information (2/3): P2P news

Ecosysteme de l'information (3/3) : Info broker

140 petites frappes dans le temple des médias


Watson : l'intelligence augmentée

Depuis cette semaine, on sait donc que la machine peut jouer sur le terrain des questions/réponses au contexte flou avec une pertinence et une rapidité surprenante. C'est en tombant par hasard hier sur un jeu télévisé où un concurrent devait se souvenir du nom du pays, de son nombre d'habitants, de sa capitale et sa monnaie légale à partir des drapeaux disposés devant lui qu'il m'est apparu aussitôt archaïque cette volonté d'admirer les capacités robotisées de la mémoire hypertrophiée d'informations encyclopédiques des candidats. Et du coup, de certains experts...

Watson a gagné. On ne voit pas encore tous les changements symboliques et réels que cela apportera. Voici un petit retour de ce qui s'est dit d'intelligent sur le sujet cette semaine.

Ce billet fait suite à mes deux précédents sur le sujet: Exponentiel, mon cher Watson et Watson 1er

Dans L'Expansion, Raphaële Karayan a recueilli les propos de Jean-Gabriel Ganascia, en science de la cognition:


Que nous montre cette expérience en matière d'intelligence artificielle ?

Jean-Gabriel Ganascia: «Herbert Simon, chercheur à l'Université de Carnegie Mellon, qui a développé Watson avec IBM, avait annoncé en 1957 que les ordinateurs deviendraient capables d'écrire de la musique et de devenir champions du monde d'échecs. On lui rétorquait que c'était impossible. Et puis il y a eu Deep Blue. On a alors dit: "ce n'est pas vraiment de l'intelligence, c'est du calcul abstrait et systématique. La vraie intelligence, c'est le langage." Là, on voit qu'un ordinateur est capable dans des situations très concrètes de se débrouiller de façon étonnante.»

Source

Dans son blogue Automates intelligents sur Le Monde, Jean-Paul Baquiast dresse un portrait réaliste des impacts prochains sur le monde du travail

Ce que l’on pourrait en conclure concernant l’Intelligence artificielle.

Jean-Paul Baquiast: «Contrairement à ce que l’on croit, les plus menacés seront ceux qui font aujourd’hui appel aux formes élaborées de la compréhension du langage naturel et du jugement, en s’appuyant sur des quantités considérables de connaissances accumulées aussi bien dans leurs cerveaux que dans les sources de documentation qu’ils utilisent.»

Source

Ce sont les professionnels qui ont une expertise reposant sur leur capacité à emmagasiner des informations mémorisées et à faire des inférences complexes (on pense aux médecins, aux avocats, aux enseignants, dans leur aspect «question / réponse» de leur emploi) qui peuvent craindre le pire avec le retour en force des «systèmes experts».

Jean-Paul Baquiat reste toutefois sceptique face à une approche informatique basée sur la «force brut» de la machine, face à l'homme qui restera toujours plus imaginatif et créatif.

C'est ce qui lui fait dire que Watson n'est pas une forme d’intelligence artificielle (simulation de l'intelligence) mais une forme d’intelligence augmentée (assemblage et recoupement de connaissances).

Avez-vous lu d'autres conclusions intelligentes sur le sujet?

Watson 1er

Ainsi donc, Watson a gagné. Au jeu télévisé "Jeopardy", la machine a gagné contre les 2 meilleurs participants aux questions de savoir général posé par l'animateur. Les cerveaux électroniques montrent une fois de plus leur supériorité. Vraiment?


WatsonRendons à IBM ce qui appartient à IBM: ils ont réussi en une quinzaine d'années à donner deux camouflets à l'intelligence humaine. Premièrement en rendant Deep Blue maître des échecs en 1997, ils ont retiré la rationalité combinatoire du monopole humain. L'homme comme être exclusivement capable de faire des choix stratégiques venait de mordre la poussière. Et aujourd'hui, deuxième défaite, l'homme qui «sait tout» est renvoyé avec un bonnet d'âne.


La première «vexation» a refroidi le mythe des experts en échecs comme homme intelligent. Regardez les vieux films du XXe siècle et la façon qu'ils ont de «déifié» le bon joueur d'échecs.


La nouvelle «vexation» donnera raison aux tenants de la pédagogie par compétences et non par connaissance. Probablement que d'autres ajustements s'installeront dans la culture pour «guérir» notre «blessure narcissique». Les génies en herbe de ce monde ne seraient donc que des OS organiques bientôt dépassés par le iPad ou... Android.


Je crois qu'il faut se réjouir de voir ces machines étendre l'intelligence de l'humain, tout en acceptant que ce que nous pensions être une exclusivité soit maintenant partagé avec la force brute de la computation informatique. Mais cette «intelligence» a plus à voir avec le dénommé Q.I. --qui aura bientôt bien du mal à rester un barème de mesure de l'être humain. On doit plutôt s'attacher à la véritable nature de la pensée humaine.


La pensée humaine, disait Harendt, se situe dans sa capacité à donner un sens au monde et à interpréter de façon non automatique. Ce qui n'est pas donné à la machine. Mais que celle-ci puisse déchiffrer mieux que nous les données complexes ne fait plus de doute. Qu'elle maîtrise les mots d'une façon que l'on pourrait appeler sémantique, aussi. L'espace laissé à l'humain se rétrécit peut-être, mais elle nous laisse toujours dans un champ interprétatif exclusivement humain.


La «désincarnation de l'intelligence humaine» engendre définitivement des avenues que je n'osais pas imaginer il y a 5 ans*. Mais elle nous force è redéfinir ce que l'on entend maintenant par intelligence.


À lire sur Zéro Seconde


- Exponentiel, mon cher Watson (mon billet de la semaine dernière)


* J'ai correspondu avec Vincent-Olivier en 2004 sur la possibilité que le réductionnisme apporté par l'intelligence artificielle puisse décentrer l'homme de son socle d'être intelligent. J'ai défendu que l'aspect de la sémiosis humaine reste indépassable. Mais il faut reconnaître que l'actualité semble aller davantage dans sa direction. Voici la série de mes réponses:


- Intelligence artificielle et semiosis humaine

- Intelligence artificielle et sémiosis humaine-2

- Godel et le web sémantique




Twitter en chinois

«En 2011, le tract, l'appel à la mobilisation, peut désormais entrer en 140 caractères dans un tweet» écrit Fabien Deglise, dans Le Devoir, pour montrer que les outils sociaux numériques peuvent faire partie de la trousse d'un manifestant. À ce jeu, certaines langues ont des «tracts virtuels» beaucoup plus longs que d'autres.

140 caractères sont une limitation qui restreint la pensée que pour les langues alphabétiques. On oublie que dans les langues à idéogrammes, comme le chinois et le japonais, le «caractère» est souvent un mot.

Voici un exemple en 140 caractères pile-poil! En chinois, s'entend.

La chine est géniale

Ce qui veut dire:

«La Chine, ici, est géniale, tant que l'on comprend, s'adapte et utilise correctement les règles tacites. Pourvu que vous vous n'en fassiez pas si le système politique est barbare, immature, sans contrepoids et à l'avenir incertain; si vous fermez les yeux sur une primauté du droit non appliquée, l'absence de justice, l'iniquité dans la société, et la disparité des richesses; si vous n'avez pas besoin de liberté d'expression, de liberté de croyance, d'être à l'abri de la pauvreté, ou de la peur; et si vous ne vous souciez pas de l'épuisement des ressources, de l'effondrement de l'environnement, et de la pollution de l'air, de l'eau et des sols. Eh bien, c'est le paradis.»

En comparaison, tweeter en français correspond à éructer le titre alors que le Chinois, lui, récite tout le livre au complet. Quand on a la place pour aller au-delà du simple slogan, un véritable message peut circuler. Le microbloggage, en chinois, prend tout son sens.

Bien sûr, certains trouveront toujours que ce n'est pas encore suffisant tout faire passer Marx avant de se lancer dans une révolution, mais ça ne rentre pas dans aucun média socionumérique de toute façon (et ça ne marche pas comme ça). 140 caractères (ou mots, dans ce cas-ci) peut être suffisant pour «proposer du sens», sans se faire attribuer le quolibet de nom d'oiseau. En chinois, certainement. On peut passer un appel à la mobilisation et expliquer pourquoi!

Source

J'ai découvert ce «birdy» (un tweet de 140 caractères d'un coup) via un ami, bien au fait de ce qui se passe en Chine. Le Tweet chinois original vient d'un site de microbloggage d'un journaliste chinois,  Cheng Yizhong, tel que rapporté par le blogue de Siweiluozi, d'où j'ai pris la version chinoise et sa traduction http://www.siweiluozi.net/2011/02/this-is-your-paradise.html


Égypte: le rôle des médias sociaux dans la chute de Moubarak

La rue a finalement eu raison de Moubarak. Mais même si c'est probablement la main «invisible » de l'armée égyptienne qui est derrière la démission-surprise, il y a une heure, de Moubarak de la présidence (après 30 ans de dictature), c'est évidemment la pression populaire qui l'a forcé (lui ou l'armée) à agir. Un exemple de plus, aussi, à mettre sur le compte des médias sociaux...
Noubarak Démissione
Avant de commencer, on s'entend ici pour dire que les «réseaux sociaux» (numériques) n'ont pas inventé les «réseaux sociaux» (humains).

Les réseaux sociaux ont existé de tout temps et précèdent naturellement les réseaux socionumériques. Ce que les réseaux sociaux sur Internet ont apporté c'est la possibilité de garder des traces des échanges dans ces »réseaux sociaux». Des traces écrites ou audiovisuelles. Donc des traces qui permettent de revenir en arrière, comparer, évaluer, juger.

Et aussi de pouvoir s'affranchir de la seule parole comme véhicule de transmission.

Les «médias sociaux», ce sont ces outils qui permettent de communiquer en groupe, en asynchrone ou en direct, selon des modalités très semblables aux médias de masse. La légèreté en plus. Le contenu qui y circule est modulé selon les vrais besoins (ou envies) de ses émetteurs/récepteurs.

Et il arrive ce qui arrive.

Dans le New York Times de dimanche dernier, un récent article décrit très bien le rôle des médias sociaux dans la création des manifestations en Égypte ( «Social media has fueled the fires of the Egyptian protests.»).


L'article décrit comment Khaled Said, un jeune de 28 ans, s'est sauvagement fait battre à mort par deux policiers en civils, en juin dernier, dans un le hall d'un immeuble. Dans la semaine même du drame, une page fut créée sur Facebook (We Are All Khaled Said) qui montrait des images de son corps, méconnaissable, à la morgue, ainsi que des vidéos captant l'attaque sauvage.

130 000 personnes se joint à la page et l'on partagé à leur réseau. Ce qui veut dire que ce sont 130 000 réseaux personnels qui ont été potentiel touché.

«La mort de M. Said est peut-être l'exemple le plus frappant du pouvoir spécial des outils de réseautage social comme Facebook même --ou surtout-- dans un état policier». La page a servi de catalyseur du mécontentement des Égyptiens abonnés. Même s'il existait des vidéos sur YouTube et des blogues sur la brutalité policière, ce cas a créé une communauté autour de ce sujet.

Un paratonnerre de colère

Ce qu'il faut comprendre c'est que même s'il est évidemment difficile d'isoler l'impact réel des médias sociaux pour engendrer les manifestations monstres, il est clair qu'ils permettent de colliger des traces des abus policiers et de catalyser une colère qui se partage ensuite plus facilement.

Les photos et les vidéos sur Khaled Said sont des preuves que l'on se passe et qui ont l'avantage de parler d'elles-mêmes. L'indignation pouvait enfin se concentrer sur un fait incontestable de la répression policière.

C'est cette indignation qui s'est propagée sur les médias sociaux, via Facebook, Twitter, YouTube et les SMS. Car tout le monde pouvait être le prochain Khaled Said.

Sous les gazouillis, la révolte

La vidéo de Khaled Said sur Facebook a été vue par 500 000 personnes. Dans un pays de 84 millions, les blasés peuvent en nier l'importance. Sauf si on se rappelle que ce n'est pas seulement un demi-million de personnes, mais bien un demi-million de réseaux sociaux personnels qui ont été touchés. Pourtant un blasé a écrit:

«S'il fallait en croire certains, sans Facebook et Twitter, il n'y aurait jamais eu de soulèvement en Tunisie et en Égypte. En a-t-on assez lu de ces reportages jovialistes décrivant une jeunesse arabe mondialisée qui passerait ses longues journées à gazouiller sur ces nouveaux médias prétendument "sociaux"?» (Christian Rioux, Journaliste au Devoir)

Je ne sais plus m'expliquer ce lancinant malaise à propos du phénomène des médias sociaux, chez ce chroniqueur en particulier, autrement perspicace sur tous les autres sujets, mais il semble qu'il tombe dans le panneau de chercher à coller une cause unique à des phénomènes complexes (un genre de syndrome d'Archiduc Ferdinand d'Autriche, dont l'assassinat, on le sait, à provoqué l'épilepsie sanglante de la Première Guerre mondiale).

De fil en aiguille

Les réseaux socionumériques permettent une propagation et une coordination qui n'existaient pas avant. Il n'y a pas de cause unique, ni une façon d'isoler facilement son apport. Mais en Égypte, on peut voir un fil conducteur.

La mort de Khaled Said n'est pas la cause de la révolte. Elle est une des étincelles, certes, car il a fallu beaucoup de brins de paille pour embraser Le Caire.

Comme il y avait maintenant 500 000 personnes sur la page de Khaled Said sur Facebook, il devenait tout à coup très simple de publier des invitations à joindre des manifestations dans la rue. Ce que l'administrateur anonyme de la page ne s'est pas privé de faire.

Avec des conversations dans les réseaux sociaux (numériques) qui se muent en foules dans la rue, ayant en leur possession des preuves convaincantes de la brutalité policière, l'État s'est vu forcé d'arrêter les deux policiers. Mais d'autres cas de brutalité mortels ont surgi; les protestants ont continué à se réunir de plus en plus souvent durant l'automne suivant.

Et puis arriva la Tunisie. Avec le succès qu'on lui connait. La voie était montrée.

Alors les groupes Facebook se sont donné le mot pour appeler à une manifestation monstre au Caire le 25 janvier (d'où le hashtag #jan25) et le reste est passé à l'Histoire.

Un (seul) Twitter ne fait pas le printemps

On peut voir les réseaux sociaux comme une étincelle ou un combustible qui met le feu aux poudres (ou l'accélère), même si cette même étincelle ne peut plus grand-chose une fois l'incendie allumée.

Moubarak, comprenant trop tard ce qui s'est joué dans les réseaux socionumériques, a tenté de débrancher internet et de noyauter les groupes Facebook. Mais le vieux dictateur, dépassé par les événements, convaincu que le contrôle des médias traditionnels était suffisant (on se rappelle la pathétique adresse à la nation hier soir) s'incline maintenant devant le printemps arabe qui s'est installé dans son pays.

Source: New York Times «Movement Began With Outrage and Facebook Page That Gave It an Outlet», par Jennifer Preston avec David D Kirkpatrick, Kareem Fahim et Anthoiny Shadid, en direct du Caire).


Photo: Suhaib Salem/Reuters

Exponentiel, mon cher Watson

Quand le pion avança en c4, au dix-neuvième coup, il s'inclina. Kasparov, le maître incontesté des échecs, perdait devant une boîte de conserve appelée Deep Blue. J’ai encore ce souvenir très frais de cet après-midi du 11 mai 1997 où l'humain venait de perdre, face à la machine, dans ce jeu qui symbolisait la suprématie de «l'intelligence» humaine. La semaine prochaine, IBM prépare un autre coup dur pour le genre humain.
Hal avant Watson
L'humiliation infligée par Deep Blue a été vite oubliée et le jeu des Échecs a été «downgradé» au rang des jeux de réflexion computationnelle brute.

Autrement dit, être excellent aux échecs a commencé à signifier être intelligent comme une machine, et deviendra folklorique comme ceux qui récitent le nombre pi jusqu'à la 25e décimale. Alors qu'Excel vous le donne dans une cellule.

Entre en scène Watson.

IBM a créé la machine la plus intelligente sur terre. Branchée à toutes les connaissances en ligne. Un cerveau multiparallèle programmé pour répondre à des questions de... Jeopardy?!

La semaine prochaine, à l'émission NOVA, elle sera en compétition contre les deux meilleurs joueurs (humains) de tous les temps du jeu télévisé Jeopardy (bande-annonce).

En fait Jeopardy est un prétexte pour démontrer la puissance de recoupement en temps réel à une question que l'on considérait jusqu'à lors comme étant du ressort des humains: des questions de connaissance générale.

Si elle écrase ses compétiteurs (ou, même, si elle s'en approche trop), ça en sera fini aussi du «savoir emmagasiné dans sa tête». Tous les savoirs? Probablement pas, mais je ne me mettrais plus ma main au feu. Les questions que l'on «pose» à Google ou à Wikipédia? Sûrement. Watson se veut l'ultime outil de Question/réponse mythique.

Et nous, que deviendrons-nous? Où irons-nous ensuite? Probablement sur des sites comme Quora où on pondérera les réponses en utilisant notre intelligence. Question garder nos distances avec la machine...

Post-scriptum : Oui, Watson a gagné

L'enfer est pavé de bonnes nouvelles

La volonté du CRTC de permettre aux radiodiffuseurs canadiens de mettre en ondes des nouvelles qu'ils savent fausses ou trompeuses est assez inquiétante. Elle pave la voie à des «Fox News» en puissance...

Un avis de consultation signale que le CRTC compte modifier ses règlements pour autoriser la diffusion de nouvelles fausses ou trompeuses (car retirer «l’interdiction de diffuser toute nouvelle fausse ou trompeuse», revient à l'autoriser en retour). C'est cette modification qui ne fait pas de sens.

La proposition pour l'alinéa 3d est la suivante: au titulaire sera interdit «toute nouvelle qu’il sait fausse ou trompeuse et qui constitue ou qui risque de constituer un danger pour la vie, la santé ou la sécurité du public».

Un télédiffuseur qui produit des nouvelles se distingue de la fiction en ce qu'elle relate le réel. Le droit à l'information doit être considéré et évalué selon les intérêts du public-récepteur et non selon les intérêts de l'émetteur.


Expliquons où se trouve le problème.
- Une nouvelle est un fait relatant la réalité qui répond au besoin d'information du citoyen pour exercer son travail de compréhension du monde. Qu'elle soit donc le plus juste possible correspond à une valeur essentielle en démocratie.

- Il n'existe probablement pas de normes pour évaluer justement de qui est vrai ou faux, mais en conservant «l’interdiction de diffuser toute nouvelle fausse ou trompeuse» cela permet de garder la barre haute sur ce terrain.

- Dans le système financier, on sanctionne le fait de répandre dans le public des informations fausses ou trompeuses sur des titres négociés sur un marché réglementé, on devrait s'attendre qu'on fasse de même dans l'espace réglementé de la radiodiffusion des télécommunications.


- Logiquement, le problème consiste à ne pas s'arrêter après «toute nouvelle qu’il sait fausse ou trompeuse» (première partie) car il enlève l'obligation au titulaire de prouver la véracité de ce qu'il diffuse comme nouvelle.


- Les interprétations engendrées dans la seconde partie («et qui constitue ou qui risque de constituer un danger pour la vie, la santé ou la sécurité du public») avec la coordination «et» entre les deux parties fait porter la proscription non pas à la fausseté de la nouvelle, mais à son «degré de dangerosité» qui reste à interpréter, laissant les nouvelles trompeuses jugées «non risquées» circuler.

- Évaluer les risques et les dangers d'une nouvelle fait porter le poids de la preuve sur le récepteur (il a à prouver son accusation) alors que la formulation originale fait porter sur l'émetteur le soin de prouver son point en cas de contestation.

Le CRTC ne doit donc pas aller de l'avant avec cette modification et j'ai signalé mon opposition sur leur site, dont les principaux points sont résumés ici.

Lire aussi:

Le CRTC pense revoir les normes de la radiodiffusion (Anne Caroline Desplanques, Observatoire du journalisme)

Les mensonges des médias désormais permis au Canada? (Jean-Louis Trudel)


Le Droit à l'information (Professeur Pierre Trudel, Université de Montréal)

Mensonges autorisés sur les ondes? La FPJQ craint un changement de règlement au CRTC (Guillaume Bourgault-Côté, Le Devoir)

Égypte et internet, qui contrôle qui?

En écoutant ce matin Thierry Garcin, aux Enjeux internationaux sur France Culture, parler, avec son invité, d'Internet comme «d'un instrument de puissance géopolitique» et du besoin de sa maîtrise par les puissances internationales, ça a titillé mon oreille au moment même où je lisais Christian Rioux dans le Devoir écrire sur les déboires de l'Égypte en minimisant, inversement, l'impact d'Internet, je me suis dit que mon «multitasking» matinal sur les «médias trads» n'était pas si improductif finalement.

Révolution, numérique ou nonÀ la radio, on y disait que « le contrôle d'internet est aussi important que les guerres commerciales et coloniales du 19e siècle» (dixit l'invité, Laurent Bloch, directeur des Systèmes d'information de Paris-Dauphine).

Certains états trouvent ça insupportable, mais n'y peuvent rien (il cite une Europe impuissante devant les Américains qui fabriquent à la fois les logiciels et les matériels qui font marcher Internet), mais d'autres aussi trouvent ça insupportable, mais interviennent pour changer la situation (il cite la Chine qui s'est coupée carrément d'Internet avec un système parallèle de noms de domaines, un "annuaire" d'adresses internet «sinisé»).

La rivalité, maintenant au grand jour, entre la Chine et les États-Unis dans ce domaine, a été ensuite le sujet du reste de l'interview radiophonique (disponible en baladodiffusion pendant quelque temps, ici). Les attaques, organisées, secrètes ou mafieuses, ne sont pas différentes des actes de pirateries en haute mer sur les voies de communication au temps où l'Empire britannique contrôlait les océans.

Aux armes, internautes

Internet est bel et bien une arme stratégique, et commerciale. On en voit les traces notamment avec Wikileaks récemment et la révolution verte en Iran qui ont consacré Twitter comme arme politique de Washington. (Lire mes billets Ligne de démarcation pour comprendre l'assaut étatique contre Wikileaks et Twitter entre dans l'armement stratégique américain, pour les implications politiques dans les médias sociaux).

Que l'Égypte ait coupé Internet il y a quelques jours pour contrecarrer les manifestations en cours démontre probablement la puissance, à double tranchant, d'internet. Dans ce cas-ci, il s'agit d'une «affaire intérieure» et touche principalement la communication et le transfert d'information.

Est-ce que je me trompe, mais n'est-ce pas là la première fois de l'histoire qu'un gouvernement «débranche son peuple»?

Le post de gloire arrivé

En ouvrant le journal ce matin, on peut être surpris (?) de lire de la plume de Christian Rioux, dans sa colonne au Devoir: «S'il fallait en croire certains, sans Facebook et Twitter, il n'y aurait jamais eu de soulèvement en Tunisie et en Égypte. En a-t-on assez lu de ces reportages jovialistes décrivant une jeunesse arabe mondialisée qui passerait ses longues journées à gazouiller sur ces nouveaux médias prétendument «sociaux»?» (source)

Non pas que les médias socionumériques soit au coeur de la révolution (à ce que je sache, il y a de vraies matraques qui cabossent des vraies têtes), mais, avec les autres canaux plus traditionnels, ces nouveaux médias participent à propager le «mème» de la révolution sur les terreaux fertiles.

Quand un média socionumérique peut transmettre un «mème» révolutionnaire, c'est qu'il y a une ligne de fracture déjà existante pour s'y infiltrer. Le filtrage social permet à petite dose de confirmer un sentiment que l'on a et que l'on ne pensait pas partagé. Une vidéo, des écrits, un podcast, diffusent des visions du monde non filtrées (avec tout ce que cela peut aussi amener comme risque), des contenus souvent alternatifs aux visions «officielles», ou, du moins, «dominantes» dans les canaux traditionnels. En général, ces messages proviennent de gens de confiance: des proches dans son réseau social.

Contre nous, la cyberie,

Le journaliste s'étonne: «C'est à se demander comment, malgré le black-out qui s'est abattu sur Internet pendant cinq jours, deux millions d'Égyptiens ont quand même trouvé le moyen de se donner rendez-vous sur la place Tahrir cette semaine. », question de bien remettre à sa place Internet, comme il aime le faire régulièrement (lire mes billets sur ses épidémies blogueuses).

Mais voilà, c'est qu'on ne peut pas facilement éteindre internet: des solutions de contournement variées ont été mises en place (via ZDNet.fr). Mais si on voit plutôt Internet et les réseaux sociaux comme une étincelle qui met le feu aux poudres (comme je le pense), cette même étincelle ne peut plus grand-chose une fois l'incendie allumée.

Comme je l'écrivais cette semaine «Tunisie, Égypte, Algérie, Yémen, Jordanie, tout s'embrase, via les technologies de l'information. Télé, radio, internet.» Mais ce qui y circule c'est l'information. Et, or, ce sont les hommes qui font la révolution dans la rue. Les réseaux sociaux sont comme un déclencheur (ou un «médiateur»). Les racines de toutes révolutions doivent être encrées plus loin dans la chaire de la vie que sur le simple fait d'une émotion épidermique d'un acte de communication.

L'étendard sanglant est twitté

Il y a tout de même le besoin du pouvoir en place d'envoyer ces casseurs mater du jeune révolutionnaire dans la rue pour les disperser et même attaquer et effrayer les journalistes jusque dans leur voiture pour qu'ils ne soient plus témoins. Resteront probablement les réseaux sociaux pour garder un tant soit peu le contact avec l'extérieur, probablement pendant un certain temps. Et probablement ensuite noyé par de la contre-information et l’indifférence.

S'il faut rassurer M. Rioux, Internet ne fera pas la révolution à la place des gens (il a raison). Mais il est bon de souligner qu'un nouvel outil s'est rajouté dans les mains des peuples et ce qu'ils peuvent en faire pourrait potentiellement dépasser même les nations, pour reprendre le thème de mon billet récent. (D'ici là, cet outil nouveau peut servir de coordination décentralisée pour les manifestants...)

Entendez-vous dans les forums

Tiens, en parlant de «dépassement des nations», l'invité de Thierry Garcin a écrit en janvier dernier «L’Internet [est] en rupture radicale avec la structure nationale moderne. Précisément parce qu’il n’est non pas une médiation entre la Nation et le citoyen, une gêne, mais quelque chose qui s’extrait complètement de la Nation pour renvoyer à autre chose que la Nation. » Le grand schisme de l’Internet

Mugir ces féroces réseaux?

À lire en complément

À quoi ça sert de s'activer sur Internet ? Doctorow répond à Morozov sur le blogue de Framablog. Essentiel.

Does Egypt need Twitter? Où Malcolm Gladwell, qui n'est pas soupçonné d'être réfractaire à Internet, écrit dans le sérieux New Yorker que les révolutions ont existé avant Facebook.

yes, malcolm gladwell, egypt does need twitter, une réponse au précédent lien en guise d'introduction à la possibilité enfin offerte de communiquer pour se mobiliser.

Un diplôme jetable

Un ami qui enseigne dans une université du Colorado m'a pointé vers un article du Economist, «The disposable academic - Why doing a PhD is often a waste of time, sur la valeur du doctorat aujourd'hui. «Pourquoi faire un doctorat est-il une perte de temps?». Étrange. Lisons

Post Doc NightmareL'article traite de la surabondance des détenteurs de doctorat dans un monde qui trouve qu'il y en a trop (trop? Comme si la Terre pouvait être trop bleue!) D'aucuns vont même jusqu'à dire qu'entrer dans la course au doctorat est comme entrer dans un schème pyramidal de Ponzi, lit-on.

L'argument principal apporté par l'auteur consiste à se demander si les doctorants qui graduent gagnent plus que ceux du baccalauréat. Une étude britannique démontre que détenir un baccalauréat permet d'avoir des revenus 14% supérieurs à ceux qui auraient pu aller à l'université, mais qui ont décidé de prendre un autre chemin. Pour un doctorat, cette moyenne est de 26%. Où se trouve le problème?

La comparaison perd de son éclat quand on la compare à la «prime» d'avoir une maîtrise, formation qui prend moins de temps qu'un doctorat: 23%.

L'étude montre donc qu'en moyenne avoir un doctorat ne donne que 3% «d'avantages salariaux» par rapport à une maîtrise. Et encore, pas pour tous les domaines: en math, informatique, science sociale et linguistique, cette différence s'estompe. Et en «engineering and technology» (je ne connais pas l'équivalent français) ou en architecture et éducation, l'avantage disparait complètement et devient négatif.

Il faut probablement relativiser ces chiffres britanniques. Mais on est surpris qu'il n'y ait pas plus de différence.

Malus au doc

L'article conclut en racontant que les nouveaux docteurs trouvent difficilement leur place dans le marché malgré leurs talents. Ou plutôt que les talents collatéraux acquis au Doc sont d'une faible utilité dans un monde où le savoir technique doit être assimilé rapidement et présenté clairement et simplement à une vaste audience (comme si le soin apporté à la rédaction et à la validation ne trouvait plus preneur).

L'article mentionne que certaines universités commencent à offrir à leurs doctorants des cours de «soft skill» (hum, un traducteur dans la salle?) comme la communication et le travail en équipe pour les préparer au marché du travail.

Il n'est pas fait mention dans l'article des raisons autres qu'économiques qui motivent une personne à faire un doctorat, mais l'argument financier fait tout de même mal.

Superflue, super flûte!

L'universitaire semble s'empêtrer d'une connaissance superflue s'il se spécialise trop académiquement. Pénalisé par sa persévérance, en quelque sorte. Ou est-ce alors l'Université qui produit trop d'experts de niveau «académique» (particulièrement dans certains champs d'études) sans possibilité de les replacer dans son propre corps? C'est une des questions posées dans l'article -- qui fait aussi le parallèle paradoxal avec un marché du travail qui se plaint d'un manque de ressources spécialisées. (Et revoilà le débat relancé quant à savoir si le rôle de l'Université est de servir les intérêts du marché ou non).

Je suis plus qu'intrigué par le fait que les doctorants ne trouvent pas leur place. Mais qui ne connait pas un étudiant dans cette situation?

Le savoir ordinaire

J'avais abordé il y a quelques années la montée du savoir profane, ce savoir non-académique, qui entre en compétition avec un savoir plus formel (voir un démonstration que j'avais proposée). Peut-être que le «just good enough» s'applique au savoir en entreprise. L'accès à l'information par internet rend-il la connaissance d'une information moins attirante que la compétence de l'acquérir? Cette compétence, effectivement, s'acquiert dès la Maîtrise.

Dans les domaines en ébullition (internet notamment), devient expert celui qui a lu 3 livres de plus que les autres. Dans le domaine des réseaux sociaux, des soi-disants experts n'ont probablement lu que quelques livres de plus que son client et suivent un ou deux bons mots clefs sur Twitter. À ne pas mélanger avec charlatan. Dans un monde informationnel en expansion, ces petites avances peuvent devenir des gouffres infranchissables en quelques années. L'expertise se métamorphose. Il faudra y revenir.

Et vous, qu'en pensez-vous?