La blogosphère est une entreprise collective de 20 millions de rédacteurs, de reporters, de chroniqueurs, de critiques et d’éditorialistes, qui travaillent bénévolement. Comment les médias traditionnels peuvent-ils faire face à cette concurrence?Richard Posner dans un essai,
Bad News, publié dans le New York Time le 31 juillet dernier et repris dans le
courrier international du 20/26 octobre dernier arrivait à ce constat.
“
It's as if The Associated Press or Reuters had millions of reporters, many of them experts, all working with no salary for free newspapers that carried no advertising.”
La blogosphère comme agence de presse avec des millions de reporters, dont plusieurs experts, donnant gratuitement leur temps et leur connaissance.
Il donne comme exemple l’excellent New York Time comme grande entreprise d’information traditionnelle : un système commercial, hiérarchisé, avec multiples paliers décisionnels, de filtre, de relecture, de révision et de correction entre le rédacteur et l’article imprimé.
Le blogueur n’a qu’à appuyer sur "
publier" quand il veut.
Le coût de la crédibilitéPour conserver sa crédibilité, un grand journal se doit de garantir l’exactitude de ses informations, au risque de retarder la publication de nombreux articles, afin de faire les vérifications nécessaires. La course aux scoops est perdue d’avance. D’autant que cette infrastructure coûte cher et entraîne une dépendance envers les annonceurs et les recettes publicitaires.
Chaque blogueur pris individuellement n’offre pas cette garantie d’exactitude, mais la blogosphère dans son ensemble a mis en place un mécanisme de correction d’erreurs fonctionnant à un rythme implacable. Les billets se lient ensemble et forment un gigantesque filet autour d’une sujet très rapidement. Améliorés par les commentaires laissés par les lecteurs.
L'interdépendance des sphèresMais la blogosphère ne vit-elle pas au dépend de la sphère des médias, qui elle-même l’abreuve par l’intermédiaire de ses propres portails de nouvelles ?
Il est mal aisé d’y répondre. Je crois qu’il faut plutôt voir la blogosphère comme faisant partie de la sphère des médias. Une nouvelle écologie de l’information se met en place. Et les médias traditionnels se doivent de s’y adapter.
L’article de Posner donne une première piste de réflexion :
"[...]
the competition is not entirely fair. The bloggers are parasitical on the conventional media. They copy the news and opinion generated by the conventional media, often at considerable expense, without picking up any of the tab." Les blogueurs pillent les médias traditionnels.
"The degree of parasitism is striking in the case of those blogs that provide their readers with links to newspaper articles. The links enable the audience to read the articles without buying the newspaper." Les blogueurs sont des «détourneurs» d'information.
C'est en plein ce que je viens de faire : je cite et link vers un article sans jamais avoir déboursé un sou (ni vous, d'ailleurs)
Free want to be information
"
The legitimate gripe of the conventional media is not that bloggers undermine the overall accuracy of news reporting, but that they are free riders who may in the long run undermine the ability of the conventional media to finance the very reporting on which bloggers depend." Les blogueurs scient la branche sur laquelle ils sont assis.
En ce sens,
on peut dire que la gratuité tue l'information de qualité. Les médias traditionnels, en général, produisent de l'information de qualité. Malgré tout ce que l'on peut imaginer, 20 millions de blogueurs, ce n'est pas assez pour couvrir l'actualité. Par couvrir, je veux dire être là quand le politicien dit quelque chose, et être là s'il ne veut rien dire aussi (alors qu'il devrait dire quelque chose).
Un journaliste se fait parfois assigner des missions qui ne concordent pas avec ses désirs. À ce jeu, il bat facilement les 20 millions de blogueurs. Le journaliste débusque toujours une nouvelle sur le terrain que personne n'aurait aimé couvrir "bénévolement".
Les parasitesMais est-ce une raison pour dire que les blogueurs sont des parasites? Oui et non.
Le malentendu cesserait aussitôt si on affirmait une fois pour toutes que
les bloggeurs ne sont pas des journalistes. Les blogueurs, au risque de me répéter, sont des chroniqueurs, il forme ce que j'ai appelé dans un autre billet
la société des chroniqueurs. Ils véhiculent des narrations bien particulières qui déterminent à la fois ce qui doit être dit et reconnu : un "
agenda setting bottom-up" à l'échelle planétaire.
Oui, les blogueurs, comme les chroniqueurs et les éditorialistes des médias traditionnels, sont à la merci des informations de première main. Et cette information, ils la tire principalement des sites web (des journaux), gratuitement.
Non, les blogueurs ne volent pas un lectorat significatif. Ou plutôt, personne n'est en mesure de l'évaluer encore. La baisse du lectorat a débuté fort longtemps avant l'avènement du web ou des blogs. Peut-être même favorisent-ils ainsi la crédibilité d'un journal.
C'est donc bien une nouvelle écologie de l'information qui se met en place. Les journalistes commencent à s'approvisionner via la blogosphère. Les journaux, comme Le Monde, adaptent leur formule pour répondre aux nouveaux besoins. Les médias traditionnels sauront-ils muter?
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Liens de réflexions (mise à jour 14 déc):
Qu'est ce qu'un journaliste? par Loïc Le Meur
La notion de "Journalisme citoyen" sur les blogs par Gaetano sur Expression.be
Bloggers vs. Journalists is Over de Jay Rosen
Un billet n'est pas un article de Francis Pisani
Les blogs, amis ou ennemis du journalisme? sur le site du parlement européen
Débat - Blogs et Journalisme de Luc Fayard (via Aurélien)
Broken Metaphors: Blogging as Liminal Practice (PDF) de Danah Boyd
Are Bloggers Journalists? Wrong Question de Apophenia
Les nouveaux Gatekeepers (mon billet du 14 août 2005)
D'autres liens intéressant à me suggérer?