ZEROSECONDE.COM: Internet est un amplificateur de phénomène (par Martin Lessard)

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Impacts du numérique sur la communication, notre société, nos vies.

Internet est un amplificateur de phénomène

Internet est un amplificateur de phénomène"Internet risque d’amplifier certaines tendances individualistes. La tendance à faire des choses de chez soi, séparé physiquement des autres. Internet, c’est tout faire, mais chez soi. La technique, c’est ça, jusqu’au fantasme de la sexualité.

Si notre société se replie de plus en plus sur son individualisme, Internet sera l’amplificateur de ce phénomène. Si la société maintient la diversité des rapports, des mouvements collectifs, Internet sera un mode de possibilité pour cela aussi.
"

C'était Philippe Breton en 1996 (oui, oui 1996) (via Emmanuel Parody). Internet est un amplificateur de phénomène, pas un créateur de phénomène.

Philippe Breton est chercheur au CNRS et l'auteur de nombreux livres sur la communication dont le célèbre Explosion de la communication avec Serge Proulx.

Distinction entre information et connaissance

"[...] je [Philippe Breton] propose de faire une distinction entre information et connaissance non pour les opposer mais pour retrouver ce que l’on a un peu perdu en France, l’objectivité de l’information.

On a besoin de l’information mais la connaissance, c’est autre chose, dotée de propriétés singulières.

L’information est détachable, transportable facilement. La connaissance n’est rien tant qu’elle n’a rien changé chez celui qui la porte, c’est ce qui vous transforme. La connaissance relève d’un désir et plus d’une médiation humaine là où l’information a un auditoire universel.

Accès à l'information

Si je conçois bien mon information un Chinois de la campagne peut se l’approprier. Ma critique porte sur le discours qui dit : « en accédant aux banques de données vous aurez accès au savoir ». En accédant aux banques de données, on a accès à de l’information et je trouve ça précieux.

Dans la connaissance il y a quelque chose de l’ordre de la transmission individuelle, de l’acte intérieur, d’un certain rapport à l’ignorance. Il y a un rapport paradoxal à l’ignorance, il faut à la fois l’accepter et la refuser. C’est ce qui nous donne le désir de savoir et que l’on n’a pas avec l’information.

L’information il faut l’avoir, c’est un domaine toujours positif. Internet me donne accès à la connaissance lorsque je discute avec un collègue. Internet est un outil supplémentaire pour transporter la parole.

Je me refuse à dire qu’Internet va permettre de résoudre l’inégalité d’accès aux connaissances parce que cela donne accès aux banques de données et à l’information. Il y a escroquerie intellectuelle.

Accès à la connaissance

On ne résoudra pas les problèmes d’inégalité scolaire en branchant les jeunes sur Internet. Il va se passer ce qui c’est toujours passé, ceux qui ont un désir de connaissances, ceux qui sont soutenus chez eux vont profiter très largement de cet outil formidable. Ceux qui sont coincés chez eux et qui ont un rapport fermé à la connaissance, on pourrait les mettre devant la connaissance entière du monde cela ne changera rien."

Source (les intertitres et les sauts de paragraphes sont de moi)
Mediametrie montrait récemment que la blogosphère Française était peuplée à 82% de "jeunes" de 24 ans et moins. L'appropriation de l'outil ne change pas la personne. c'est utilisation de l'outil qui est changé selon la personne. À partir de là, ce n'est pas étonnant qu'il existe une "skyblogshère".

Le phénomène des blogs en cours ne serait pas une révolution, une coupure, mais une appropriation en masse d'un nouvel outil de communication. Le vecteur porteur sous-jacent serait déjà présent dans la société: les gens veulent communiquer. Ce qu'ils communiquent est autre chose (voir le commentaire d'Aymeric pour un de mes précédents billets). Chacun commente ce qu'il veut du spectacle du monde...

Je crois que si révolution il y a, c'est seulement si cette appropriation en masse de l'outil fera basculer les équilibres existants par la prise de parole de gens qui n'avaient pas voix au chapitre. "L'exercice de la parole est la matrice de la démocratie" disait Breton. Pourrions-nous aussi transmettre un désir de connaissance ?...

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Autres liens pour découvrir Philippe Breton sur le web (rien de très récent par contre):

Entretien avec Philippe Breton de Peter Szendy dans Résonance n° 10, mai 1996, sur le serveur Ircam du centre Pompidou.

Ph. Breton, "Individualisme et démocratie : une origine commune ?", dans Regards n° 44, mars 1999

Ph. Breton, "Internet : village planétaire ou tour de Babel ?", conférence à l'Institut d'informatique, Namur, Belgique, février 1996

Ph. Breton, "Nous devons laïciser internet", dans Le Monde daté du 29 novembre 2000

Ph. Breton, "Le culte d'Internet", dans Le Monde diplomatique, octobre 2000 et un commentaire de Eric Dupin, journaliste à «Libération». (English version available here: Wired to the counterculture)

Ph. Breton, Les dérives d’internet, chronique publiée dans La Marseillaise du jeudi 29 mars 2001.

Compte rendu de La parole manipulée, de Philippe Breton, Editions La découverte / Essais, 1997

Internet constitue potentiellement une menace pour le lien social sur RU3.org

Regards sur la société de l'information (1996) Interviews de Philippe Breton, Joël de Rosney, Jacques Neirynck, Pierre Lévy, et Alain Touraine.

Le philosophe et le sociologue croisent le fer, Philippe Breton et Pierre Lévy, Web Net Museum 2001 (d'où est tiré aussi l'image en haut de mon billet)

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8 commentaires:

mercredi, décembre 28, 2005 4:05:00 a.m. neuromancien a dit...

J'ai toujours été d'accord avec cette vision. Je me souviens de cette distinction essentielle entre informations et connaissances. C'est pourquoi je crois que le rôle des enseignants devient primordial notamment en ce qui concerne l'information literacy. C'est d'ailleurs une des mes interrogations sur le rôle que devrait jouer les documentalistes de l'éducation nationale notamment dans ce domaine- www.guidedesegares.fr-. Le seul problème c'est que peu de formateurs ont une bonne connaissance des nouveaux outils et que les élèves ont parfois une maitrise supérieure ou tout au moins quelques pratiques plus avancées.
Il est vrai que pour l'instant que "la skyblogsphère" n'est surtout que des déballages personnels peu intéressants. Espérons que ces jeunes qui bloguent ainsi s'exercent et parviendront à créer plus tard des blogs pertinents et interactifs.
Un peu de formation sera peut être nécessaire néanmoins.

mercredi, décembre 28, 2005 6:13:00 a.m. hubert guillaud a dit...

"Je crois que si révolution il y a, c'est seulement si cette appropriation en masse de l'outil fera basculer les équilibres existants par la prise de parole de gens qui n'avaient pas voix au chapitre."

C'est étrange, ça me semble éloigné du discours plutôt déçu qu'on entend venir depuis longtemps des spécialistes du champ politique sur l'internet, comme relayé par Xavier Moisant, ici : "Au contraire, les positions exprimées étaient assez convergentes sur ce point : l'électronique peut introduire du participatif, permettre davantage de délibération, oui. Mais Il n'y a pas de remise en cause de la représentation."

mercredi, décembre 28, 2005 8:50:00 a.m. Martin Lessard a dit...

Neuromancien, j'abonde dans votre sens. C'est pour ça que je m'intéresse à des expériences comme le Cyberportfolio de l'institut St-Joseph avec Opossum.ca...

Oui, les jeunes ont de l'avance dans les pratiques technologiques. C'est une première je crois, non?, dans le domaine des communications (la vraie Première était les jeux vidéos - mais c'était de la comsommation). La réflexion "savante" se fait a posteriori...

mercredi, décembre 28, 2005 8:57:00 a.m. Martin Lessard a dit...

Hubert, je ne suis pas sûr si la "révolution" sera bloguée, mais les politiques contemporains gouvernent par sondage et la blogosphère est une certaine caisse de raisonnance de l'opinion publique.

Mais le véritable danger est de penser que c'est un "démocratie en marche". Ce n'est que la liberté de presse en marche.

On est jamais à l'abri de manipulation de la part du pouvoir. La blogosphère n'est PAS une groupe de pression.

Mais je crois qu'elle permet l'émergence de parole qui autrefois n'était pas entendu, et ça, ça pourrait changer des choses...

lundi, janvier 02, 2006 9:14:00 a.m. Anonyme a dit...

«Je me refuse à dire qu’Internet va permettre de résoudre l’inégalité d’accès aux connaissances parce que cela donne accès aux banques de données et à l’information. Il y a escroquerie intellectuelle.»

Ce n'est effectivement pas Internet en soi et ses outils qui apporteront des éléments de solution à cette problématique (et à d'autres), mais plutôt la façon dont les éducateurs percevront et mettront à profit les possibilités sociocognitives (qu'elles soient novatrices, amplificatrices, reproductrices) qu'ils offrent en regard de la vision ou de l'intention pédagogique poursuivie.

Je crois qu'il faut en faire un défi de design. Notre but est de résorber les inégalités d'accès? Bien. En quoi les outils d'Internet peuvent-ils y contribuer? Ne serait-ce qu'un tantinet. Comment devons-nous orchestrer leur utilisation pour aller en ce sens? Etc.

Un fidèle mariage doit avoir lieu entre la capacité réflexive unique de l'Homme et les possibilités des outils que lui-même crée. À moins que la vision qu'on ait d'Internet en matière d'éducation soit un nouveau cru de la machine à enseigner de Skinner...

Stéphane Allaire (Ytsejamer)
http://carnets.ixmedia.com/stephane

lundi, janvier 02, 2006 3:01:00 p.m. Martin Lessard a dit...

Stéphane, je suis de ton avis. Ma question finale ("Pourrions-nous aussi transmettre un désir de connaissance?") reste une question ouverte et, somme toute, universelle.

Mais je me rend compte qu'elle semble sous-entendre une idée qui m'effleure après coup, suite à ton commentaire : "Peut-on MASSIVEMENT transmettre un désir de connaissance?" (dans le sens que nous sommes dans une "société de masse").

Je ne sais pas si mon utopie fait le poids face au rouleau compresseur d'une société axée sur l'opérationnel.

mardi, janvier 03, 2006 7:02:00 p.m. Anonyme a dit...

"Peut-on MASSIVEMENT transmettre un désir de connaissance?"

Si je peux me permettre: transmettre le désir de connaître quoi au fait?

Stéphane Allaire (Ytsejamer)
http://carnets.ixmedia.com/stephane

mercredi, janvier 04, 2006 9:53:00 a.m. Martin Lessard a dit...

Oui, je vais essayer d'être plus clair:

par massivement, je parle d'une transmission qui va au-delà du face-à-face, par média interposé ou par système d'éducation (que l'on peut considérer de nos jour comme une transmission des savoirs en masse).

Le desir de connaître, naïvement, je l'associe à ce que les Anciens (Socrate et compagnoie) disent à propos de la connaissance : connaissance de soi, l’étude de l’homme, la réflexion sur la valeur de nos actions. Aux quelles je rajoute cette connaissance du monde au-delà des apparences (je crois que celle-là est de Platon).

Je ne suis pas sûr que nos sociétés possède majoritairement une population prêt à apprendre au-delà de l'utilitaire (et je ne crois pas qu'on les encouragent non plus).

Un peu naïf, peut-être, mais entre PARIS MATCH ou SCIENCES ET VIE, j'aimerais que le second batte le premier. Ce sera dèjà un bon début...

Le réseau par ses liens me mène dans des ramifications de la connaissance qui je découvre (ce qui n'était pas possible avant). Je souhaite que tous puisse utiliser Internet d'une telle façon. Mais bon...

ma question serait alors de savoir si ce goût peut être transmis autrement que par émulation des pairs ou des enseignants ou de la famille (la façon la plus efficace de transmettre des aptitude) et de réussir à travers l'enseignement, les médias (ou la blogosphère?) ce goût d'aprendre à apprendre.

Est-ce que la science de la pédagogie a explorer cette voie?

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