La volonté du CRTC de permettre aux radiodiffuseurs canadiens de mettre en ondes des nouvelles qu'ils savent fausses ou trompeuses est assez inquiétante. Elle pave la voie à des «Fox News» en puissance...
Un avis de consultation signale que le CRTC compte modifier ses règlements pour autoriser la diffusion de nouvelles fausses ou trompeuses (car retirer «l’interdiction de diffuser toute nouvelle fausse ou trompeuse», revient à l'autoriser en retour). C'est cette modification qui ne fait pas de sens.
La proposition pour l'alinéa 3d est la suivante: au titulaire sera interdit «toute nouvelle qu’il sait fausse ou trompeuse et qui constitue ou qui risque de constituer un danger pour la vie, la santé ou la sécurité du public».
Un télédiffuseur qui produit des nouvelles se distingue de la fiction en ce qu'elle relate le réel. Le droit à l'information doit être considéré et évalué selon les intérêts du public-récepteur et non selon les intérêts de l'émetteur.
Expliquons où se trouve le problème.
- Une nouvelle est un fait relatant la réalité qui répond au besoin d'information du citoyen pour exercer son travail de compréhension du monde. Qu'elle soit donc le plus juste possible correspond à une valeur essentielle en démocratie.
- Il n'existe probablement pas de normes pour évaluer justement de qui est vrai ou faux, mais en conservant «l’interdiction de diffuser toute nouvelle fausse ou trompeuse» cela permet de garder la barre haute sur ce terrain.
- Dans le système financier, on sanctionne le fait de répandre dans le public des informations fausses ou trompeuses sur des titres négociés sur un marché réglementé, on devrait s'attendre qu'on fasse de même dans l'espace réglementé de la radiodiffusion des télécommunications.
- Logiquement, le problème consiste à ne pas s'arrêter après «toute nouvelle qu’il sait fausse ou trompeuse» (première partie) car il enlève l'obligation au titulaire de prouver la véracité de ce qu'il diffuse comme nouvelle.
- Les interprétations engendrées dans la seconde partie («et qui constitue ou qui risque de constituer un danger pour la vie, la santé ou la sécurité du public») avec la coordination «et» entre les deux parties fait porter la proscription non pas à la fausseté de la nouvelle, mais à son «degré de dangerosité» qui reste à interpréter, laissant les nouvelles trompeuses jugées «non risquées» circuler.
- Évaluer les risques et les dangers d'une nouvelle fait porter le poids de la preuve sur le récepteur (il a à prouver son accusation) alors que la formulation originale fait porter sur l'émetteur le soin de prouver son point en cas de contestation.
Le CRTC ne doit donc pas aller de l'avant avec cette modification et j'ai signalé mon opposition sur leur site, dont les principaux points sont résumés ici.
Lire aussi:
Le CRTC pense revoir les normes de la radiodiffusion (Anne Caroline Desplanques, Observatoire du journalisme)
Les mensonges des médias désormais permis au Canada? (Jean-Louis Trudel)
Le Droit à l'information (Professeur Pierre Trudel, Université de Montréal)
Mensonges autorisés sur les ondes? La FPJQ craint un changement de règlement au CRTC (Guillaume Bourgault-Côté, Le Devoir)
09 février 2011
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2 commentaires:
Ce qui est affligeant dans cette volonté de changer les normes, même s'il semble au premier abord un petit problème sémantique entre dire une fausseté et être conscient de dire du une fausseté, risque de mener vers un laxisme des vérifications journalistiques: si je ne sais pas que c'est faux et que je publie, il n'y a donc pas faute.
J'yvois un grand danger et une preuve du poid des mots.
Merci pour cette alerte.
Christian, oui, bien vu: c'est le relâchement qui est dangereux. La nouvelle formulation laisse place à l'interprétation.
Ceci dit, pour expliquer ce genre de changement, on peut penser soit à une ingérence politique (le parti au pouvoir à Ottawa veut laisser dans les mains de chacun le soin de définir ce qu'est la vérité et le mensonge -- et peut-être, s'il y a anguille sous roche, d'ouvrir la voie à des titulaires plus enclins à propager des «bonnes» nouvelles), soit à un constat d'échec de la part du Conseil quant à sa capacité de faire régner l'ordre (auquel cas, se limiter à la «dangerosité» d'un information réduit son champs d'intervention -question de souffler un peu)
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