ZEROSECONDE.COM: C'est la révolution, parce qu'elle est télévisée (par Martin Lessard)

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C'est la révolution, parce qu'elle est télévisée

J'ai écrit un billet cette semaine sur mon autre blogue, Triplex, sur le 100e jour du mouvement étudiant et sur CUTV en particulier. Voici une suite (inspirée après la lecture d'un billet sur «CUTV et la révolution» d'une lectrice).
Voici un extrait de mon billet sur triplex:

CUTV, l'effet larsen et les médias sociaux

Les grands médias ont assez couvert de manifestations en temps réel par le passé pour savoir que le fait d’ouvrir les caméras sur une foule provoque en retour un effet de rétroaction sociomédiatique : un effet larsen social des médias qui provoque ce qui n’existait pas.


Une boucle de rétroaction est en place quand l’effet est lié à sa propre cause. La réaction entraîne une amplification progressive vers un emballement chaotique. Les médias sont depuis longtemps un élément de cette chaîne, soit comme agent provocant (en montrant la chose), soit comme régulateur (en relativisant la chose).

Quand les nouveaux médias « montrent tout ce qui se passe », les grands médias se retrouvent dans la position de régulateur. Ce qui rend la neutralité journalistique suspecte (être neutre et couvrir tous les points de vue banalise les événements) auprès des manifestants.

Avec CUTV, la boucle de rétroaction est enclenchée, car les effets observés dans la rue entraînent plus de gens indignés dans la rue, comme on le constate soir après soir.
(Billet complet)
Ce qui m'avait le plus surpris, et qui a été un déclencheur pour écrire le billet, c'est de lire en ligne tous ces gens qui, écoutant en direct CUTV, se demandaient «Mais où sont les médias?» quand les policiers chargeaient la foule.

Ils partageaient cette étrange impression que la réalité à laquelle ils assistaient devait être filmée et reprise dans "les médias".  Avec en surcroît, ce petit soupçon jamais très loin d'une conspiration du silence.

Mais étrangement, au même moment, ces médias se faisaient conspuer pour leur biais dans la couverture (pas assez pro-étudiant, trop à droite, ou ceci ou cela). Biais? Probablement. Mais en aurait-il eu un aussi s'il filmait en temps réel la manif, comme le fait CUTV, montrant les petits et grands drames? Probablement aussi.

Donc on ne critiquait pas l'absence des médias, ni leur parti pris...

On critiquait les médias, tout simplement.



Les médias sont critiquables et s'il y a bien une chose que CUTV a montrée, c'est de faire éclater au grand jour la façon ampoulée de couvrir les événements et la lourdeur de leur processus. Mais ils n'ont pas tout faux, au contraire

Ce que j'ai tenté de décrire dans mon billet, c'est que les médias connaissent l'effet larsen. Ouvrir une caméra, en direct, est déjà une forme de prise de position. Et ils en connaissent les conséquences.
On se rappelle les émeutes des finales de la Coupe Stanley à Montréal en 2008, les caméras ouvertes montraient les émeutiers en délire, ce qui invitait davantage de gens à se joindre au carnage. Comme l’effet de rétroaction décrit par Larsen quand on approche un micro d’un haut-parleur.
(Voir mon billet sur ces événements de 2008)
Quand CUTV s'avance vers les policiers qui chargent, en leur demandant pourquoi ils chargent, on se demande s'il ne provoque pas l'événement plutôt que de le filmer. Ça finit toujours par une mise hors d'onde après une bousculade. Effet larsen.

Est-ce que CUTV prend position? Dur d'en douter. Est-ce que CUTV est à blâmer? À ce que je sache, les policiers auraient chargé quand même, caméra ou non. Est-ce que CUTV montre une réalité que les autres médias taisent par peur d'effet larsen? Probablement.

Mais pourquoi cette retenue?

Il n'y a que sur YouTube que l'on peut voir le constable 728 arroser de poivre les innocents passants. Les médias sociaux n'ont pas de valve de sécurité: on écoute la vidéo en boucle et en boucle et on finit par devenir un indigné. Et le soir on passe à CUTV pour braver les policiers --qui nous chargent en retour. Effet larsen.

Les médias de masse jouent les seconds violons dans ces événements. Ils ne peuvent pas être partout à la fois. Les médias sociaux, oui. Les médias de masse ont un boulot à faire (et les événements n'en sont qu'un parmi d'autres à couvrir, chiens écrasés inclus) alors que les médias sociaux sont toujours sur l'adrénaline, jour et nuit, et uniquement sur ce qui compte pour eux à ce moment-là.

Les médias de masse maintiennent un semblant d'équilibre en étant un régulateur des images auto-excitantes. Le direct n'apporte pas nécessairement le degré de réflexion souhaitée:

- Est-ce le rôle d'un grand média de montrer la manif comme elle montre un défilé? J'en doute dans les conditions actuelles de production audio-visuelle.

-Est-ce que ce type d'«absence» sur le terrain amoindrit la légitimité des télés dans leur couverture? Probablement. Car une certaine pertinence a été accordée de facto à CUTV. Celle de montrer le non-dit, la conséquence concrète de manifester dans la rue, la brutalité policière, l'envers des nouvelles.


Mais tous les médias ne doivent pas tous être mis dans le même panier.

La télé -- média qui montre -- a le plus à perdre en discrédit. Comment peut-on la prendre au sérieux quand elle nous montrent des recettes de poulet alors que la brigade anti-émeute racle le coin St-Denis Maisonneuve?

La presse, grosso modo, se débrouille assez bien -- même si elle se rend compte que son opinion n'est pas majoritaire dans le tintamarre des réseaux sociaux.

La logique interne des médias est de traiter cet événement comme tous les autres événements, de lui retirer son caractère exceptionnel.

Oui l'événement fait la première page, quand ils sont 250 000 dans les rues. Mais a-t-on vu un cahier complet, quotidien? Voyons-nous des émissions quitter l'antenne pour annoncer que des étudiants sont en pris en souricière au coin de telles et telles rues? Non, la logique interne des médias demande de préserver un équilibre.

Et cet équilibre et cette objectivité sont perçus comme un immobilisme et un biais en faveur du statu quo. Alors que CUTV, en étant en direct, montre que c'est un état d'exception. 

C'est leur slogan. "La révolution sera télévisée". Et s'ils filment, c'est que ça ne peut être qu'une révolution.


4 commentaires:

jeudi, mai 24, 2012 11:27:00 p.m. Danielle Bourdages a dit...

Il faut bien dire que le terme de révolution suscite à nos esprits du spectaculaire, surgissant habituellement avec soudaineté, voire de manière sanglante... Ma perception, toujours susceptible d'être mise à l'épreuve, fait figurer CUTV comme un élément dans un ensemble de bouleversements subséquents à cette ère technologique qui est la nôtre. Un élément qui joue sur le plan de l'image, cette maîtresse du réel tel que vu ou tel qu'on veut le donner à voir ou voudrait le voir.

À nouveau, votre propos a engendré un trop long commentaire de sorte que je l'ai publié sur mon blog http://me.voir.ca/dadaettatou/2012/05/24/cutv-et-la-revolution-suite/

jeudi, mai 24, 2012 11:34:00 p.m. Martin Lessard a dit...

CUTV _est_ un acteur, et ne s'en cache pas. CUTV utilise une partie du pouvoir d'attraction pour changer les choses, certainement! Pas très sûr quel agenda ils ont vraiment, mais assurément, ils disent aux autres médias qu'ils sont nus, comme le roi de la fable. Le bouleversement est moins technologique (en partie, seulement) mais surtout au niveau éthique et des pratiques : subjectivité, acteur de changement et non pas (faux) observateur "objectif", ce qui fait toujours un peu le jeu du pouvoir en place...

vendredi, mai 25, 2012 1:24:00 a.m. Danielle Bourdages a dit...

Oui, c'est un peu pour ça que je parlais dans mon 1er billet de changement de paradigme. Ils ont sûrement un agenda, mais parce que je le sens très animé par la liberté, ce ne peut être un agenda visant une forme très arrêtée. L'esprit est très déterminé, mais au résultat tous sont conviés à contribuer. Pour autant que ça s'arrime ou rime avec la dite liberté. Mais peut-être que je fais de la projection :))

vendredi, mai 25, 2012 1:25:00 a.m. Martin Lessard a dit...

Danielle, si on en croit leur logo, il y a le mot Love....

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