2009 comme l'année de Twitter? Peut-être. La révolution manquée en Iran et la mort de Michael Jackson auraient intronisé cet outil auprès du grand public occidental. Et si c'était plutôt celle du passage des réseaux sociaux du côté du mainstream? En fait 2009 clôt une décennie de progression exponentielle des médias sociaux en ligne. C'est l'année qui a consacré les médias sociaux comme partie intégrante d'une nouvelle écologie de l'information.
La mutation en cours concerne les consommateurs et les info-brokers, le web participatif rendant encore plus floues les frontières dans la chaîne de l'information. Je vous avais déjà fait la description en 3 parties l'an passé (L'écosystème de l'information: 1- Twitter Surge, 2- Le P2P news, et 3- l'info-broker)
En lisant le livre de conversation, sortie récemment, entre Jean-Claude Carrière et Umberto Eco (N'espérez pas vous débarrasser des livres), ce dernier disait :
«Avec Internet, qui vous donne tout et qui vous condamne [...] à opérer un filtrage non plus par la médiation de la culture, mais de votre propre chef, nous courrons le risque de disposer désormais de six milliards d'encyclopédies. Ce qui empêche toute entente»
Encyclopédies à gogo
Umberto Eco entend "encyclopédie" dans le sens de référents communs et partagés par une communauté. Paris est en France (et non au Texas) et c'est Madonna qui a eu une fois l'air de Maryln Monroe (et non l'inverse). L'encyclopédie commune à une culture permet de dialoguer. Si tous les référents manquent, il n'y a plus de conversation.
Le problème de filtrage a déjà été soulevé à mainte reprise par Umberto Eco, et j'en ai fait écho (sans jeu de mots) ici Le problème du filtrage de l'information sur Internet (2005).
Mes conclusions sont tout aussi valides aujourd'hui: puisque les filtres culturelles ont été court-circuités et que la validation d'un document repose sur l'usager (la crainte de Eco), il doit trouver de nouvelles stratégies de filtrage. 99% de nos informations reçues sont de "seconde main" (le "monde" nous est relayé et rarement acquis de "première main") cette tâche s'accomplit en se fiant à sa communauté, à des "autorités informationnelles", à son filtre social.
Dans ce cas, ce n'est pas vrai qu'il y aura 6 milliards d'encyclopédies. Un filtre social est forcément une affaire de groupe et il est peu probable que ces groupes soient hermétiques les uns aux autres. La perméabilité des cloisons fait en sorte que l'information circule autant qu'avant. À l'exception peut-être pour certaines nouvelles, imposées d'en haut et relayées par les biens pensants de la culture.
Les cerbères de la culture
Cette culture et ces gardiens de la connaissance questionnent cette "compétence collective" émergente. Le filtrage social implique un type de pensée qui renonce à un sens normatif et unique d'interpréter l'information.
Je ne peux décider seul de ce que je vais lire et interpréter si ma communauté d'intérêts ne lit pas et n'interprète pas les mêmes choses que moi. Il y a un travail de co-interprétation, de co-construction des savoirs. Évidement, il faut ensuite apprendre à se mesurer au groupe, provoquer des interprétations divergentes, nouvelles, sous peine de faire aveugler.
Le filtrage "par soi-même" ne se fait pas isolément. Je cherche à calibrer mes sélections, à valider mon interprétation auprès des autres et à défendre mes choix. Il y a aucun intérêt à être tout seul avec son encyclopédie face à toute cette information. La connaissance favorise la socialisation, l'abondance sans filtre ne la défait pas.
Umberto Eco pensait en terme d'autorité traditionnelle. Le nouveau modèle de légitimation qui se met en place pour "valider" l'information brise cette autorité, la confronte et se taille un chemin. Elle ne remplacera pas tout l'édifice. Mais elle ne se noiera pas dans 6 milliards d'encyclopédies...
23 décembre 2009
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6 commentaires:
Salut Martin,
Un sujet délicat qui nous intéresse tout les deux.
Avec beaucoup de recul, Je dirais que ces 2 modes de légitimation ont toujours existé avec une prépondérance de l'un ou l'autre suivant les époques. J'appartiens plutôt par ma formation scientifique au modèle dit d'autorité traditionnelle. Je suis conscient qu'un modèle est plus pertinent dans un champ et vice et versa. Par exemple en sciences dites exactes, le modèle par autorité compétentes me semble plus efficace et pertinent que ce tu appelles le nouveau modèle et qu'on pourrait appeler le modèle réseau social ou populo. En faisant une analogie extrême, le président d'une démocratie est choisi et légitimé davantage avec ce modèle populo pour le meilleur et le pire.
Maintenant dans le domaine du gout et du beau dans l'art (cinéma, peinture ...) je me moque assez souvent de l'autorité traditionnelle.
Paul
Paul, tu as parfaitement raison. En sciences dures, la popularité n'a absolument pas sa place (c'est la définition même de ce qu'est la science).
Mais pour tout ce qui est culturelle, l'histoire récente (200 ans) nous montre toute une série de ré-appropriation du peuple de sa culture.
Ce qui est intéressant, et je crois que c'est le devoir des écoles durant ce siècle, est d'enseigner à reconnaître la frontière entre les deux.
Cette notion de 'filtrage social' de l'information culturelle au sens large est très intéressante. Elle repose presque entièrement sur le degré de confiance que j'accorde aux transmetteurs d'informations. Et ce degré de confiance est proportionnel au respect et à la loyauté que je sens chez l'interlocuteur qui m'informe : respect de la vérité, de la vie, de la personne, de la nature, etc.; loyauté envers ses valeurs, ses engagements, sa parole, etc. Résultat dans mon cas, si je coupe court aux nuances : méfiance totale envers le filtre médiatique à la remorque de publicités le plus souvent incohérentes et contradictoires; grande méfiance envers le filtre politique motivé prioritairement par l'électoralisme; méfiance moyenne envers le filtre éducatif encadré par des programmes trop vite dépassés; confiance relative dans le filtre artistique lorsqu'il n'est pas corrompu par la mode du moment; confiance totale dans le filtre commercial parce que l'enjeu du profit à faire y est clair, net et négociable...
Joyeuses Fêtes!
Jean, en continuant à lire le livre d'entretiens entre Jean-Claude Carrière et Umberto Eco ("N'espérez pas vous débarrasser des livres"), il y a un long passage où ils semblent toucher du doigt le même type de réflexion que vous apportez, mais sous un angle plus "mythique": les livres ou les monuments culturels sont ceux qui ont été "filtrés" par le temps et la culture. Tel livre nous est parvenu, il a donc au minimum le mérite d'avoir "survécu" jusqu'à nous.
Le processus qu'ils décrivent n'est que la version longue durée de ce qui se passe à l'échelle accélérée des réseaux sociaux numériques. Le filtrage social a toujours existé. La vélocité informationnelle le fait ressurgir comme un filtre contre l'obésité mentale dans un monde de surabondance...
Joyeux Noël et Bonne Année 2010!
Bonjour Martin,
Petit croche sur Zéro Seconde pour te souhaiter une bonne année 2010...
Et en prime, deux billets intéressants sur le phénomène Twitter :
http://novovision.fr/?Prediction-2010-marre-de-Twitter
Dans le genre on babille beaucoup sur Twitter, mais on blogue moins, on échange moins.
http://bibliotheques.wordpress.com/2009/12/29/twitter-what-else/
Un pied de nez aux moralistes qui ne voient dans les réseaux sociaux que pur narcissisme.
Luc
Luc
Merci Luc.
Bonne année 2010!
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