«Si vous n'êtes pas avec nous, vous êtes contre nous». Après une dose intense de souvenirs préformatés, dix ans après les événements du 11-septembre, où de façon compréhensible on commémore les victimes, il faut un remède de cheval pour se remettre à repenser les vrais enjeux:
Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s'annonce comme une immense accumulation de spectacles. [1]
Le spectacle n'est pas un ensemble d'images, mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images. [4]
Le spectacle se présente comme une énorme positivité indiscutable et inaccessible. [12]
Dans le spectacle, une partie du monde se représente devant le monde, et lui est supérieure. [29]
Le spectacle est la carte de ce nouveau monde, carte qui recouvre exactement son territoire. [31]
Le spectacle dans la société correspond à une fabrication concrète de l'aliénation. [32]
Le spectacle est le capital à un tel degré d'accumulation qu'il devient image. [34]
Le spectacle est absolument dogmatique et en même temps ne peut aboutir réellement à aucun dogme solide [71]
Le spectacle, comme organisation sociale présente de la paralysie de l'histoire et de la mémoire, de l'abandon de l'histoire qui s'érige sur la base du temps historique, est la fausse conscience du temps. [158]
La consommation spectaculaire qui conserve l'ancienne culture congelée, y compris la répétition récupérée de ses manifestations négatives, devient ouvertement dans son secteur culturel ce qu'elle est implicitement dans sa totalité : la communication de l'incommunicable. [192]
Le spectacle est l'idéologie par excellence, parce qu'il expose et manifeste dans sa plénitude l'essence de tout système idéologique : l'appauvrissement, l'asservissement et la négation de la vie réelle. [215]
La désinsertion de la praxis, et la fausse conscience anti-dialectique qui l'accompagne, voilà ce qui est imposé à toute heure de la vie quotidienne soumise au spectacle ; qu'il faut comprendre comme une organisation systématique de la «défaillance de la faculté de rencontre», et comme son remplacement par un fait hallucinatoire social : la fausse conscience de la rencontre , l'«illusion de la rencontre». [217]
Si la logique de la fausse conscience ne peut se connaître elle-même véridiquement, la recherche de la vérité critique sur le spectacle doit aussi être une critique vraie. Il lui faut lutter pratiquement parmi les ennemis irréconciliables du spectacle, et admettre d'être absente là où ils sont absents. Ce sont les lois de la pensée dominante, le point de vue exclusif de l'actualité, que reconnaît la volonté abstraite de l'efficacité immédiate, quand elle se jette vers les compromissions du réformisme ou de l'action commune de débris pseudo-révolutionnaires. Par là le délire s'est reconstitué dans la position même qui prétend le combattre. Au contraire, la critique qui va au-delà du spectacle doit savoir attendre. [220]
in La société du spectacle, Guy Debord
7 commentaires:
Ouf.
«Le spectacle, comme organisation sociale présente de la paralysie de l'histoire.»
Ma question: est-ce qu'il y a raison de croire qu'ici "paralysie de l'histoire" n'ait autre signification que "fin de l'histoire"? Un euphémisme, donc?
Dans le spectacle, la répétition par excellence (au sens lacanien du terme), il n'y a que des rôles, prévus d'avance, prévisibles et inutiles, qu'on se doit d'opposer aux personnages d'envergure historique, dont l'extinction marque, justement, la fin de l'histoire qu'ils auraient autrement composée.
Et je te pose la question, parce que tu ne sembles pas y croire toi, à la potentielle fin de l'histoire.
Car ce n'est pas tant l'absence de grandes idées (avec laquelle je tant à être assez d'accord), mais bien l'absence de grands personnages qui signale une urgence de rebooter l'histoire…
"Fin de l'histoire" n'a été réemployé abondamment que depuis Fukuyama (donc après La société du spectacle). Debord devait connaître l'expression, mais vu l'époque, devait être peut-être trop connoté marxiste.
Mon interprétation: paralysie signifie un arrêt causé par une force externe (ici le spectacle) alors que fin de l'histoire signifie un programme interne, contingent.
Mais c'est une nuance. Ton point montre que ça revient au même : il n'y plus moyen de faire avancer l'histoire...
Et non, je ne crois pas à la fin de l'histoire...
L'histoire se rebootera d'elle-même si il y a une panne...
Précision.
Croire à la fin de l'histoire, c'est pour moi d'admettre son éventualité. Car si la fin de l'histoire n'est pas (encore) avérée, c'est parce que nous sommes là pour la craindre. "Nous", non pas dans le sens de tous les humains, mais de ceux qui, parmi les humains, sont le sel de la terre, comme dirait Jésus, les nerveux, comme dirait Proust, les canaris dans la mine de charbon comme dirait Vonnegut
En ce sens, je crois qu'il serait conséquent pour toi d'admettre quelque chose à ce point-ci. Surtout puisque tu es d'accord que nous semblons vivre une discontinuité historique au cours de laquelle il semble qu'"il n'y a plus moyen de faire avancer l'histoire". Peut-être pas pour la première fois (c'est d'où, moi, je tire mon espoir). Mais à mon avis, c'est une primeur de pouvoir qualifier de cognitivement pas tout à fait humain (ou de posthumain, ou de surhumain ou d'antihumain) ce qui résiste à notre volonté de poursuivre l'histoire.
Vincent-Olivier : Si on entend "fin de l'histoire" comme le moment où l'humanité aurait atteint son but, son essence, sa finalité -- et donc qu'il n'y aurait plus d'évolution, plus de différence entre avant et après (d'où l'expression "fin de l'histoire") -- comme un sens afin trouvé, une maturité atteinte, je dois m'inscrire en faux.
Même les règles pour le parc humain de Sloterdijk ne donnent pas la domestication de l'homme par les bergers comme une fin en soi: ces derniers doivent encore et toujours trouver le chemin pour avancer vers une fuyante destination…
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