Ce que l'on appelle web 2.0 n'est pas attaché à une période temporelle ou à des outils technologiques. On peut mieux comprendre ce qui révolutionne Internet aujourd'hui en comprenant qu'il y a 6 cultures d'Internet qui se succèdent et s'entrecroisent, à la manière de couche de pelures d'oignon.
(ce texte fait suite à ma conférence donnée au Webcom2007 intitulé Exploiter les outils web 2.0 à votre avantage)
Le web 2.0 est la dernière couche
Il y a eu 5 grandes cultures qui ont façonné Internet depuis ses débuts : (1) les militaires, (2) l'élite technico-scientifique académique, (3) les programmeurs, (4) les communautés virtuelles et (5) les entrepreneurs. L'émergence d'une sixième culture, celle qui surfe sur le web 2.0, appartient aux "opérateurs de symboles".
Tous ceux qui génèrent de l'information, de la connaissance ou de l'émotion sont des "opérateurs de symboles", ce que Robert Reich appelait en 1990 les "symbolic analysts", ces travailleurs de la connaissance qui créent une offre de contenu, qui en font une manutention ou qui se spécialisent dans leur réception ou leur repackaging. (voir mon premier article sur les 6 cultures d'Internet pour en savoir davantage).
Web 2.0 est tributaire des couches précédentes
Ce qu'il faut comprendre, c'est que ces cultures s'entremêlent. Des mots-clefs qui parcourent le web 2.0 ont aussi eu cours avant: Auto-publication, décentralisation, mashup, conversation, reconnaissance des pairs, participation, "information wants to be free". Elle utilise et s'exprime à travers des outils construits par les gens de la culture précédente (les entrepreneurs) avec des sentiments qui ont beaucoup de choses communes avec la culture des des communautés virtuelles. Et ainsi de suite.
La culture du web 2.0 est intimement lié à une vague de jeunes (qui ont du temps, de l'énergie et aucun scrupule) qui ont les moyens (mis à leur disposition par les technologies d'aujourd'hui) de s'exprimer. Mais les plus vieux aussi s'y expriment et cette envie remonte aussi loin qu'à l'apparition des premiers médias.
La culture de l'expression
Il faut reconnaître que cette culture n'est pas uniquement intéressée par les réseaux sociaux en soi, mais par la diffusion de leur message, n'importe quel message, de un vers tous. Une culture d'expression, pas nécessairement de communication.
Nam Juke Paik, l'artiste contemporain cherchait dans les années 70 à exprimer cette envie de modifier les signaux unidirectionnels de la télévision. En utilisant un aimant, il offrait aux visiteurs la possibilité de modifier l'écran de télévision --par une distorsion de l'image dans le tube cathodique. C'était bien avant les caméscopes.
On peut dire qu'il fait partie de cette mouvance des "manipulateurs de symboles", cette culture qui cherche à prendre possession du canal. Aujourd'hui, sur Youtube, nous avons un exemple fertile de ces "expérimentations" pour "contrôler" l'écran. Pour le simple plaisir de le faire.
Le clip sur youtube des jeunes asiatiques chantant sur une chanson des Back Street Boys n'est pas autre chose qu'une "distortion de l'image dans le tube cathodique". En plus structurée. Et qui trouve audience, contre tout attente. 2400000 visionnements! Mais ici c'est une autre histoire.
12 mai 2007
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7 commentaires:
Pas pire, comme résumé de points que t'as abordé dans d'autres billets.
Une idée que j'avais pas remarquée plus tôt dans tes billets: la part des jeunes. Est-ce que tu parles de gens qui ont moins de 25 ans en ce moment? J'ai l'impression que ces jeunes-là sont assez actifs dans la sixième culture en-ligne, surtout qu'ils ont connu le 'Net alors qu'ils étaient enfants ou jeunes adolescents, mais j'ai l'impression qu'ils ne forment pas nécessairement la «vague» du Web 2.0. Bien d'accord avec toi qu'ils ont des choses à dire et les moyens de l'exprimer, mais il me semble qu'ils expriment tout ça entre eux plutôt que vers le public le plus large possible.
Faut dire aussi que j'ai tendance à associer «naissance du Web 2.0» avec l'explosion des blogues.
La version de l'histoire de l'explosion des blogues que j'entends le plus souvent implique surtout des informaticiens qui ont fait des sous durant la bulle de la fin des années 1990 mais qui n'ont plus d'emploi stable. Comme ils avaient du temps, de l'argent et des connaissances informatiques suffisantes, ils se sont mis à créer des blogues pour passer le temps, trouver des emplois ou pour se donner des défis informatiques. Il me semble que ces gens sont aussi des figures marquantes de la sixième couche d'Internet et de la bulle Web 2.0. Pour la plupart, ils sont probablement nés à la fin des années 1970 ou au début des années 1980 ("post-busters" et début de la Génération Y, disons). Mais c'est pas exactement ce que je considère comme «jeune», dans le sens où on l'entend le plus souvent.
C'est pas pour te contredire. J'essaie juste de penser à la structure du groupe qui est le mieux étiqueté par l'appellation «Web 2.0».
En passant, deux petites fautes dans la phrase suivante: «Nam Juke Pike, l'artiste contemporain cherchait dans les années 70 a exprimer cette envie de modifier les signaux unidirectionnelles de la télévision.»
(«à exprimer» et «unidirectionnels»)
C'est une question de point de vue, mais je pense que les "jeunes", dont je fait parti selon la catégorisation d'alexandre, ont trouvé un autre web 2.0.
Pour beaucoup d'entre nous ce sont les youtube, zoho (pour les études) ou encore badoo qui sont représentatifs de l'évolution de la cinquième couche vers la sixième.
Une coquille s'est glissée dans ton billet. Il s'agit de Nam June Paik.
Vincent. Bien sûr c'est PAIK! Corrigé. Merci
Cédric: on dirait que t'as des choses intéressantes à dire sur la génération d'utilisateurs dont tu fais partie. Ça t'arrive de bloguer là-dessus?
En passant, j'aime bien Zoho. J'ai utilisé Zoho Show dans mes cours et j'ai hâte d'utiliser Zoho Notebook.
Alexandre, vouloir catégoriser le web 2.0 avec une génération précise serait une erreur. Parce que ce que tu vas trouver est ce que ce que tu voulais trouver : une génération.
Oui, les "jeunes" de moins de 25 ans utilise différemment le web 2.0 que les "vieux" de 35!
Mais mon de vue est différent: je ne cherche pas évaluer statistiquement le comportement d'une génération par son utilisation d'un outil (ce qui est une approche socio- et/ou anthropologique, j'imagine), mais je cherche bien à connaître le lien entre toutes les utilisations de l'outil.
Ce que l'on nomme le web 2.0 correspond à une envie, facilitée par les nouveaux outils de s'exprimer de 1 vers "n", où "n" est une audience non déterminé et non un groupe (ce à quoi la culture communautaire, que je numérote 4, correspond).
Que cette audience ce retrouve à être 10 ou 1 million de personnes n'a pas d'importance. Avant on communiquait dans un forum ou un newsgroup avec une audience virtuellement fermée (il fallait être abonné pour accéder au contenu).
Dans le web 2.0, on écrit "à tous" sans égard à qui va le recevoir et sans lui faire correspondre une thématique. On cherche à s'exprimer sans communiquer. Ce qui est ma définition d'un mass média en passant.
J'avais commencé à élaborer cette idée ici et ici et surtout ici.
Dis-moi ce que tu en penses...
On se dirige vers des questions intéressantes, ÀMHA.
Pour la question de génération, je pensais surtout à la première partie du paragraphe suivant:
La culture du web 2.0 est intimement lié à une vague de jeunes (qui ont du temps, de l'énergie et aucun scrupule) qui ont les moyens (mis à leur disposition par les technologies d'aujourd'hui) de s'exprimer. Mais les plus vieux aussi s'y expriment et cette envie remonte aussi loin qu'à l'apparition des premiers médias.
J'ai probablement passé rapidement sur la deuxième partie du paragraphe mais j'interprétais ça comme un peu une perspective historique: ce qui s'est passé dans le développement de la sixième culture. Je m'intéresse peu à la dimension temporelle mais j'aime bien penser aux groupes spécifiques qui sont impliqués. Pas d'une façon statistique, mais d'un point de vue ethnographique. Un peu comme le rapport de Technographics de Forrester. Définir des patterns parmi les utilisateurs aide à concevoir l'outil dans un contexte plus diversifié. Comme je m'intéresse plus aux gens qu'à l'outil, c'est plus ma façon de voir les choses.
Si je réussissais à «définir une génération», je serais bien content. Surtout que, dans ce cas-ci, c'est un groupe très spécifique de personnes que j'associe à la culture "geek" qu'on trouve dans la bière de spécialité, le café, ou l'accès ouvert. Des gens créatifs et innovateurs mais qui pensent plus comme des ingénieurs que comme des musiciens. Des gens qui apprennent l'anglais s'ils ne le connaissent pas et qui semblent percevoir la diversité linguistique comme un poids plutôt que comme un avantage adaptatif. Des gens pour qui l'identité culturelle a relativement peu d'importance et qui pensent peu aux frontières politiques. Des gens qui croient souvent aux «valeurs démocratiques libérales».
Ces gens me semblent impliqués dans chacune des «couches» de ton modèle. La dernière couche compte plus de gens qui accordent de l'importance à la diversité culturelle, mais quand même. C'est toujours pas «M. et Mme Tout-le-monde» que l'on peut voir sur les sites du type participatif.
Le commentaire de Cédric me semble très pertinent, à ce sujet. Pas que je veuille faire des «études de marché» sur quel groupe est associé à quelle communauté en-ligne (ça serait très intéressant à faire mais ça me demanderait plus de travail). Juste que les gens qui passent du temps en-ligne ont souvent des buts différents.
Je comprends bien le 1->N et N<->N, avec les implications sur les bases de données elles-mêmes. Ce que je remarque, par contre, c'est que les gens impliqués sont liés les uns aux autres par des contacts assez spécifiques qui forment des réseaux ouverts (à géométrie variable) qui restent quand même distincts les uns des autres.
Pour moi, la progression de Facebook est un bon exemple. Au départ, Fb n'était utilisé que sur des campus aux États-Unis. Maintenant que le réseau est ouvert, il y a quand même beaucoup de gens qui se connaissent à travers des campus auxquels ils ont appartenus. Étant moi-même dans le domaine universitaire, j'ai de la facilité à trouver les gens que je connais (y compris plusieurs de mes anciens étudiants). Mais il y a encore un effet de surprise pour les étudiants qui me voient sur Fb. D'ailleurs, il n'y a rien sur Fb qui est prévu pour les profs. On peut avoir suivi un cours avec quelqu'un mais on ne peut pas avoir donné un cours. Faut dire que tous les liens sont conçus comme symétriques, ce qui rend certaines choses compliquées. Fb est un peu comme un café étudiant dans ce sens que tout le monde est libre d'y aller mais les réseaux se forment entre gens qui se connaissent.
Pour ce qui est d'écrire «à tous», je crois qu'il y a un degré de complexité à considérer. Beaucoup de blogueurs, surtout chez les jeunes adolescents, écrivent spécifiquement à leurs amis. Tout est public mais le lectorat est restreint. Même chez ceux qui veulent rejoindre un public plus large, le lectorat reste plus spécifique que dans plusieurs journaux. On rejoint surtout des gens qui passent du temps en-ligne et qui lisent facilement la langue que nous utilisons. Une fois de temps à autre, nous arrive quelqu'un qui ne fait pas partie de ce groupe. Un YulBlogueur (François Rodrigue) par exemple, qui reçoit des visites et des commentaires de personnes qui veulent participer à un jeu télévisé. Mais on voit la différence. C'est pas le principal public des blogues.
Bon, je pars sur des tangentes, comme d'habitude. Mais je trouve ça important de penser au fait que la «culture de participation» du fameux «Web 2.0» reste spécifique à certains groupes. C'est un phénomène très important, qui touche des dizaines de millions d'utilisateurs. Mais c'est bon de voir qu'il y a des milliard d'exclus... 8-|
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