Ça commence raide, cette nouvelle décennie. Voilà finis les tiraillements de poulailler, où les journalistes faisaient la gueule contre la blogosphère. Puis contre les réseaux sociaux, avant les embrasser (à leur manière).
On a beau affubler internet de tous les maux, la crise qui les frappent est double --la financière (les publicitaires ont accès à leur audience sans passer par la presse) et celle de légitimité (l'autoproduction de contenu retire leur privilège d'être les seuls à commenter l'actualité)-- elle a mené depuis 10 ans à développer un nouvel écosystème de l'information. J'estime aujourd'hui qu'entre les médias traditionnels et les médias sociaux, l'arrimage est amorcé.
L'hyperjournalisme
«L'irruption des blogues et des opinions de toutes sortes dans Internet nous rappelle que l'opinion n'est pas notre privilège» ajoute Edwy Planel, ancien directeur de la rédaction du Monde et maintenant fondateur de Médiapart, l'un des intervenants au colloque, «que notre métier c'est d'abord l'enquête, le reportage et la mise en perspectives. Internet est un bouillonnement démocratique qui, loin de dissoudre le journalisme, nous rappelle à ce que nous devons faire». [2]
La question qui se pose aujourd'hui au colloque se résume ainsi: «le public intéressé à la vie citoyenne est-il suffisant pour faire vivre un journal indépendant et de qualité?»
«Le journal qui réussira demain est celui qui fournira une information recherchée par une partie significative de la population, tout en offrant de la valeur ajoutée» dit Sauvageau [1] .
Plenel ajoute : «Le journal en papier doit bouger, car il s'adresse à un public qui a déjà eu de l'information» [2].
Follow the money
«Pour la première fois, les annonceurs peuvent se passer largement des journaux, et même de l'information, pour diffuser leurs messages publicitaires» dit Bernard Poulet, auteur de La fin de journaux, coup de tocsin dans le paysage médiatique francophone [3].
Les publicitaires suivent leur audience là où elle s'agglutine. «La manne publicitaire est de plus en plus captée par d'autres acteurs qui ne se soucient guère de produire de l'information (moteur de recherche, sites de services ou de rencontre, etc).» ajoute Poulet.
«Le journalisme n'a plus le monopole de l'Info»
C'est ce qu'a dit la journaliste Lisa-Marie Gervais [4]. Voilà qui en dit long sur la fin des hostilités dont j'ai commenté à quelques reprises ici.
Clay Shirky écrivait dans The Edge récemment que «la rareté crée de la valeur» [5]. Alors le surplus signifie donc que ce qui avait de la valeur auparavant (à cause de la rareté) ne l'est plus. Publier, autrefois réservé à une élite, n'est plus un acte «rare». Donc publier n'a plus de valeur «en soi», car le simple fait de «publier» ne rapporte plus d'argent. La rareté des publications leur donnait une valeur.
Les bénéficiaires d'un système où s'enrichissent ceux qui «rendaient les choses publiques», comme les académiciens, les politiciens, les docteurs et les reporters, continue Shirky, possédaient un privilège qui est maintenant partagé par tous: l'abondance des pensées du public renverse l'ordre passé.
«On veut rentrer chez nous»
Ce cri du coeur vient des journalistes, mis en lock-out il y a plus d'un an par les dirigeants du Journal de Montréal, dans une publicité qui circulent ces jours-ci.
Ce lock-out est une expérience sur la presse d'aujourd'hui grandeur nature. Les cadres du Journal tiennent le fort depuis plus d'un an. Tous les jours. Or le Journal se porte très bien. Les lecteurs n'ont pas déserté. Et les ventes n'ont pas baissé. Et les annonceurs sont encore au rendez-vous.
Un an que le journal fonctionne sans journaliste. Un an.
Tous ces journalistes qui ont investi de précieux moments de leur vie et qui voient aujourd'hui que leur absence ne change en rien la «qualité» du contenu. Il y a de quoi faire une dépression. Leur pub «On veut rentrer chez nous» est symptomatique d'un gros malaise: où sont-ils pour dire qu'ils ne sont pas «chez eux»? Ils sont sur le web !! Quelle ironie.
Le nouveau job du journaliste
Ces journalistes devraient prendre Le Post comme exemple. Jeff Mignon a interviewé Benoît Raphaël, le rédacteur en chef du Post: ce journal web où chaque journaliste est en relation avec son public, coordonne des «amateurs» qui sont «les yeux de la salle de rédaction» [6]. La nouvelle tâche du journaliste est devenue un «producteur de nouvelles, un agrégateur et un organisateur de communauté. C'est le journaliste-réseau.
Référence
[1] Florian Sauvageau et Marc Raboy, Indépendant, mais à quel prix? La qualité de l'information constitue toujours un enjeu social important (Le Devoir, 10 mars 2010)
[2] Christian Rioux L'«hyperjournaliste» Plenel et Internet - Le numérique doit dorénavant se situer en amont de la chaîne « L'information est une marchandise qui mérite d'être protégée dans son intégrité (Le Devoir, 10 mars 2010)
[3] Bernard Poulet, L'information à deux vitesses - Tout est à réinventer Aucune société ne peut vivre sans information (Le Devoir, 10 mars 2010)
[4] Le Devoir trouve sa place dans le Web 2.0 (Le Devoir, 12 mars 2010)
[5] Clay Shirky, The shock of Inclusion in The Edge Annual Question — 2010 How is the Internet changing the way yo think? (The Edge.org)
[6] Jeff Mignon, Le Post : a successful and innovative news site that mixes pro and am content (Media Café, 26 février 2010)
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4 commentaires:
Vous y aller un peu fort en disant que JdM se fait sans journaliste.
Il doit bien y avoir un organisme vivant appelé humain qui écrit les articles que je vois en premier page? Ce sont des mercenaires, des scabs ou des sous-payés, insultez-les comme vous voulez, mais ce ne sont pas une meute de chimpanzés qui tapent à l'aveugle sur une dactylo, et que Pierre K.Peladeau choisi le meilleur texte, par le miracle de la statistique, qui a été généré de cette façon.
Effectivement , un journaliste est un rouage remplaçable et ce qu'il génère ne rapporte plus la même plus-value.
Nous avons un droit à l'information, et le, ou un, journaliste nous est important. C'est sa viabilité économique qui est mise en cause ici dans une perspective d'industrie privée. Le droit à l'information est un bien public commun, le devoir d'informer est une activé privé. Saurions-nous capable d'imaginer une activité journalistique autrement gérer? Je crois que oui.
Dans l'éclatement des formes de communication, il faut arriver à maintenir cette institution, car un journaliste professionnel quoi qu'on en dise à sa place dans l'écosystème web. Comme on dit: trop de chef pas assez d'indien, on pourrait dire trop de chroniqueurs pas assez de journaliste.
François, le JdM fait appel à des rédacteurs. Si après plus d'un an les lecteurs n'ont pas perçu la différence dans la qualité, qu'est-ce que ça veut dire? Au choix:
1- le lectorat s'en fout, être "journaliste" ne sert à rien
2- les journalistes syndiqués ne font pas une meilleure job qu'une firme de contractants payés pour "faire" la nouvelle
3- les annonceurs s'en foutent, tant qu"il y a des têtes à bourrer
Je serais un "lock-outé" que je changerai de métier immédiatement. Et s'il n'ont pas pris la dernière année pour mettre à jour leur métier et apprendre de première main l'art d'informer sur le réseau, je ne sais plus quoi dire...
Ok, Je comprend l'angle que vous m'apportez. En fait moi le mot journaliste voulait dire quelqu'un qui écrit une info. Que ce soit des rédacteurs et que cela n'a pas de grande valeur ca m'est égal...Il faut quand même des pousse-mines, non?
Pour l'instant le robot qui écrit des news de sport est déjà inventé http://bit.ly/9soszj .
Il y a déjà un début de la fin qui est commencé!
Pour le lock-outé, il est vrai que 1 an dans la rue c'est 7 ans sur web de perdu!! On ne miserai pas sa chemise sur eux? On cracherai sur leur cv? En fait ils ne sont plus utiles pour ce qu'il faisait, le seront-ils pour une autre tâche?
Je répète toujours: 'pour sauver les médias adoptez un journaliste!' ;-)
Le JdM a "formaté" la nouvelle dans leurs pages (choix, angles, rédaction). Il peut être normal qu'une machine puisse un jour remplacer les humains.
Sur le web, il n'y aura à mon avis besoin que 10% des effectifs pour arriver au même travail.
C'est la quadrature du cercle que le syndicat demande : impossible de revenir au Journal, impossible de rester sur le web. Ce qui mène à une situation paradoxale : le syndicat doit bloquer toute évolution, sous peine de carrément disparaître.
Structurellement, les syndicats sont là pour protéger des abus des patrons. Mais avec 10% des effectifs, ça réduit considérablement le rapport de force... Mais si les 10% de journalistes s'auto-organisent pour être présents sur le web, le syndicat aura du mal à justifier sa présence devant l'absence de patrons...
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