«La hiérarchie est animale, il n'y a pas de doute là-dessus», déclare Michel Serres, auteur prolifique et professeur à l'université Stanford, dans son billet sur LePoint.fr de vendredi il y a deux semaines. Heureusement, avec les technologies émergentes, une nouvelle démocratie du savoir est en marche, dit-il. Mais dites donc! Serait-ce qu'avec les réseaux, cet appréciable philosophe aurait (re)découvert la wirearchy de Jon Husband?
En quelque sorte, oui.
Wirearchy, est un néologisme de Husband depuis, créé il y a plus d'une décennie, pour nommer cet aplanissement des hiérarchies, en entreprise et dans la société en général. La communication dite horizontale, avec ses paires, devient non seulement praticable, et à moindre coût avec les nouveaux outils des médias sociaux, mais aussi essentiels.
Serres, lui s'attarde moins à la structure qu'à l'impact à son sommet. Là où Husband soulignait la «mutation de l'hiérarchie», Serres s'attarde sur la «crise de l'autorité» qui en résulte. L'autorité doit muter!: «L'autoritarisme a toujours été une tentation des sociétés humaines, ce danger qui nous guette de basculer très facilement dans le règne animal.» dit-il.
La culture humaine a remplacé le schéma animal, selon Serres. Le mot "autorité" en français vient du latin auctoritas, dont la racine se rattache au même groupe que augere, qui signifie "augmenter". Si la «morale humaine augmente la valeur de l'autorité» alors celui qui a «autorité sur moi doit augmenter mes connaissances, mon bonheur, mon travail, ma sécurité, il a une fonction de croissance».
L'autorité aujourd'hui n'est pas out, il a juste subi une mutation!
«La véritable autorité est celle qui grandit l'autre.»
Serres affirme que le mot "auteur" dérive de cette «autorité qui augmente». Un auteur se porte garant de ce qu'il avance, il en est responsable. «[S]i mon livre est bon, il vous augmente. Un bon auteur augmente son lecteur.»
Rappelons ici que Serres est aussi l'auteur du petit livre sur La Petite Poucette (tiré d'un discours qu'il avait fait, disponible ici en PDF), cette mutante qui consulte et communique le savoir du bout des pouces. De l'essor des nouvelles technologies, il en conclut qu'un nouvel humain est né.
Avant l'accès «à tout», dans le sens que j'ai abordé la semaine dernière, suite aux réflexions d'André Gunthert (lire Internet comme sixième sens), les auteurs, professeurs, journalistes, bref les autorités pouvaient, devaient assumer une présomption d'incompétence à l'égard de leur audience, rappelle Serres.
Il préconise au contraire, pour la société d'aujourd'hui, une présomption de compétence, car chacun est en mesure de faire ses propres recherches sur Internet. L'autorité n'étant maintenant là que pour "augmenter" les compétences des son audience, des ses élèves, de ses patients, des ses lecteurs. etc.
L'autorité cognitive en question
Mais dès que l'on parle des mutations causées par Internet, les penseurs redisent finalement les mêmes choses, n'est-ce pas?
J'avais abordé cette importante question il y a déjà une demi-décennie: quand on accède sur le web à autant d'information diverse (et contradictoire) cela nous donne une meilleure vision du monde (certes!), mais elle passe de plus en plus à travers des connaissances de "seconde main" -- l'écrasante majorité de ce qu'on sait sur le monde ne vient plus d'une expérience directe avec celui-ci.
J'avais donc rapidement fait remonter l'idée que les autorités cognitives allaient devenir un acteur important dans la société. Plus de détail ici sur ce qu'est l'autorité cognitive.
En quelques mots, une autorité cognitive est cette personne vers qui nous nous tournons pour nous donner l'heure juste dans une sphère d'expertise que l'on croit être la sienne. Ce ne sont pas nécessairement les experts d'un domaine (on a pas toujours accès à un expert), mais il a notre confiance pour répondre à des questions ouvertes.
Serres me donne l'occasion de définir ainsi le rôle de cet autorité cognitive (et toute autorité, politique, scolaire, professionnelle): celui de fournir un cadre cognitif à une personne pour lui permettre de mieux remplir son propre rôle (ou son destin) ou régler une problématique quelconque.
Une autorité est adoptée (remarquez ici l'inversion: l'autorité ne s'impose pas) quand son apport permet à une personne d'espérer atteindre un objectif.
Le journaliste comme autorité.
En animant mercredi prochain un atelier Projet Columbus sur l'arrimage entre les medias de masse et ceux dits « sociaux », on se questionnera sur les promesses et les déceptions cette révolution. On y abordera, entre autres, ces signaux faibles qui sont pourtant riches de potentialités et méritent d’être entendus et mis à contribution.
Ces signaux faibles viennent entre autre des lecteurs et de la population en général. Jusqu'à un certain point, l'information remonte de la population jusqu'au journaliste.
Mais quand on voit des débats qui traduisent un éloignement culturel croissant entre les élites et la «populace», et choque Cyrille Frank (un titre dans Le Monde illustrant une attitude condescendante envers le lectorat), il n'est pas insensé de réfléchir à ce que dit Serres.
La responsabilité des élites, et des autorités en particulier, est celle de faire grandir l'autre.
En quelque sorte, oui.
Wirearchy, est un néologisme de Husband depuis, créé il y a plus d'une décennie, pour nommer cet aplanissement des hiérarchies, en entreprise et dans la société en général. La communication dite horizontale, avec ses paires, devient non seulement praticable, et à moindre coût avec les nouveaux outils des médias sociaux, mais aussi essentiels.
Serres, lui s'attarde moins à la structure qu'à l'impact à son sommet. Là où Husband soulignait la «mutation de l'hiérarchie», Serres s'attarde sur la «crise de l'autorité» qui en résulte. L'autorité doit muter!: «L'autoritarisme a toujours été une tentation des sociétés humaines, ce danger qui nous guette de basculer très facilement dans le règne animal.» dit-il.
La culture humaine a remplacé le schéma animal, selon Serres. Le mot "autorité" en français vient du latin auctoritas, dont la racine se rattache au même groupe que augere, qui signifie "augmenter". Si la «morale humaine augmente la valeur de l'autorité» alors celui qui a «autorité sur moi doit augmenter mes connaissances, mon bonheur, mon travail, ma sécurité, il a une fonction de croissance».
L'autorité aujourd'hui n'est pas out, il a juste subi une mutation!
«La véritable autorité est celle qui grandit l'autre.»
Serres affirme que le mot "auteur" dérive de cette «autorité qui augmente». Un auteur se porte garant de ce qu'il avance, il en est responsable. «[S]i mon livre est bon, il vous augmente. Un bon auteur augmente son lecteur.»
Rappelons ici que Serres est aussi l'auteur du petit livre sur La Petite Poucette (tiré d'un discours qu'il avait fait, disponible ici en PDF), cette mutante qui consulte et communique le savoir du bout des pouces. De l'essor des nouvelles technologies, il en conclut qu'un nouvel humain est né.
Avant l'accès «à tout», dans le sens que j'ai abordé la semaine dernière, suite aux réflexions d'André Gunthert (lire Internet comme sixième sens), les auteurs, professeurs, journalistes, bref les autorités pouvaient, devaient assumer une présomption d'incompétence à l'égard de leur audience, rappelle Serres.
Il préconise au contraire, pour la société d'aujourd'hui, une présomption de compétence, car chacun est en mesure de faire ses propres recherches sur Internet. L'autorité n'étant maintenant là que pour "augmenter" les compétences des son audience, des ses élèves, de ses patients, des ses lecteurs. etc.
L'autorité cognitive en question
Mais dès que l'on parle des mutations causées par Internet, les penseurs redisent finalement les mêmes choses, n'est-ce pas?
J'avais abordé cette importante question il y a déjà une demi-décennie: quand on accède sur le web à autant d'information diverse (et contradictoire) cela nous donne une meilleure vision du monde (certes!), mais elle passe de plus en plus à travers des connaissances de "seconde main" -- l'écrasante majorité de ce qu'on sait sur le monde ne vient plus d'une expérience directe avec celui-ci.
J'avais donc rapidement fait remonter l'idée que les autorités cognitives allaient devenir un acteur important dans la société. Plus de détail ici sur ce qu'est l'autorité cognitive.
En quelques mots, une autorité cognitive est cette personne vers qui nous nous tournons pour nous donner l'heure juste dans une sphère d'expertise que l'on croit être la sienne. Ce ne sont pas nécessairement les experts d'un domaine (on a pas toujours accès à un expert), mais il a notre confiance pour répondre à des questions ouvertes.
Serres me donne l'occasion de définir ainsi le rôle de cet autorité cognitive (et toute autorité, politique, scolaire, professionnelle): celui de fournir un cadre cognitif à une personne pour lui permettre de mieux remplir son propre rôle (ou son destin) ou régler une problématique quelconque.
Une autorité est adoptée (remarquez ici l'inversion: l'autorité ne s'impose pas) quand son apport permet à une personne d'espérer atteindre un objectif.
Le journaliste comme autorité.
En animant mercredi prochain un atelier Projet Columbus sur l'arrimage entre les medias de masse et ceux dits « sociaux », on se questionnera sur les promesses et les déceptions cette révolution. On y abordera, entre autres, ces signaux faibles qui sont pourtant riches de potentialités et méritent d’être entendus et mis à contribution.
Ces signaux faibles viennent entre autre des lecteurs et de la population en général. Jusqu'à un certain point, l'information remonte de la population jusqu'au journaliste.
Mais quand on voit des débats qui traduisent un éloignement culturel croissant entre les élites et la «populace», et choque Cyrille Frank (un titre dans Le Monde illustrant une attitude condescendante envers le lectorat), il n'est pas insensé de réfléchir à ce que dit Serres.
La responsabilité des élites, et des autorités en particulier, est celle de faire grandir l'autre.