La fonction du discours de la terreur est de servir de prétexte pour la métamorphose du capitalisme libéral en capitalisme autoritaire.
- Peter Sloterdijk
On se rappelle encore avec frisson quand ce dirigeant du pays le plus puissant avait dit «soit vous êtes avec nous, soit contre nous» (ou à peu près ça, je ne ne vais pas chipoter pour des détails de vocabulaire alors qu'il a envahit l'Irak sans même vérifier ses sources).
La première décennie du 21e Siècle a commencé en Occident ce 11 septembre 2001 (écroulement de deux tours à New York) et s'est terminée le 28 novembre 2010 (écoulement d'un quart de million de télégrammes volés au gouvernement américain).
L' objectif original de Wikileaks est «d’exposer les régimes oppressifs en Asie, de l’ancien bloc soviétique, de l’Afrique sub-saharienne et du Moyen Orient » (source) Ce que l'affaire Wikileaks montre est plutôt une ligne de démarcation en Occident: qui est "avec" et qui "est contre". Les régimes oppressifs ne sont pas là où on le pense.
La classe marchande fait partie des armes défensives du gouvernement américain. Juste retour. Le gouvernement américain fait du lobby pour ses compagnies commerciales (voir "Pression américaine sur les Russes en faveur de Visa et Mastercard"; source Guardian).
Pour mémoire
Je me sens obligé de mettre par écrit les faits, suite au ban de Wikileaks, question de se rappeler de quels bords certaines compagnies sont.
- Amazon.ca expulse Wikileaks pour non respect du droit d'auteur (source Radio-Canada)
- EveryDNS refuse de loger Wikileaks sur son DNS (source ReadWriteWeb)
- Paypal refuse de supporter Wikileaks pcq il est "illégal" (source Le Figaro)
-Twitter bidouille-t-il pour que Wikileaks n'apparaisse pas dans ses "hot trends" (malgré qu'il se maintient à plus de 2000 Tweets à l'heure depuis 3 semaines)? (source) Mes lecteurs savent depuis 2009 que Twitter fait partie de l'armement américain.
-Visa et MasterCard bloque les virements vers Wikileaks. La Bank of America s'est ajouté, avant-hier, aux joyeux larrons (source France Info)
La citation de Peter Sloterdijk mis en exergue nous rappelle que le capitalisme autoritaire continuera à apporter la joie et la paix dans les dollarama et les Tati de ce monde.
Tiens, en prime, des anecdotes:
- Eric Besson, ministre d'un état américanisé sous le dernier roi nu français (Source L'Express) veut décider selon son humeur du moment ce qui peut être hébergé ou non sur ses serveurs français (Source Le Point)
-Tom Flanagan, l'ancien stratège du premier ministre populiste canadien suggère, à la blague, que Julian Assange soit "assassiné" (source Radio-Canada). À la blague, un mandat d'arrêt d'Interpol devrait être lancé contre lui pour appel au meurtre.
- Mitch McConnell, un sénateur américain, républicain évidemment, accuse le dirigeant de Wikileaks d'être un "terroriste". (source Salon). Un terroriste est un mot à géométrie variable pour les américains (source).
- Time magazine a choisit Zukerberg au lieu d'Assange comme personnalité de l'année. Pourquoi? Facebook ne date pas de 2010, pourtant (il aurait pu recevoir ce titre l'an dernier, ou l'année d'avant, ou encore avant!) Ah oui, il y a eu un film hollywoodien sur lui, cette année. Bien sûr. Bien sûr*.
* Assange lui n'est que de l'actualité récente et superficiel ("comme d'une note en bas de page de l'Histoire"). Effectivement, qui se souvient de ces embarassantes révélations, cette année, sur une attaque de l’armée américaine sur Bagdad (vidéo datant de 2007), de la publication de 92 000 documents de l’armée américaine sur la guerre en Afghanistan (juillet), de la sortie de 400 000 documents secrets sur la guerre d’Irak (octobre) ou des 250 000 télégrammes en novembre? Personne.
À part le gouvernement américain...
Éthique journalistique: questions à l'examen de fin de session
Wikileaks donnera probablement du fil à retordre pour les futurs étudiants en éthique de l'information (au fond, c'est comme si on piratait votre compte Gmail et qu'un site publiait toute votre correspondance ensuite).
- Est-ce que Deep Throat aurait passé par Wikileaks s'il était encore vivant?
- Qu'a-t-il de différent entre lire l'info sur Wikileaks.ch et la lire dans le journal? (réponse, vous serez viré; source Fox)
- Si les révélations coulées jusqu'à aujourd'hui dans les journaux participants (on en reparlera une autre fois) ne fait, contre toute attente, aucune mention de Ben Laden, faut-il y voir une information digne d'être publiée?
Le monde change...
2 commentaires:
Bonjour Martin Lessard,
Je note avec intérêt que vous n'évoquez pas les poursuites pénales dont Assange fait l'objet.
Je ne conteste pas ce choix que vous me semblez faire à dessein, mais m'interroge sur vos raisons. Il me semble, en première analyse, que le grand cas fait autour de cette affaire n'est pas étranger aux liens entre Assange et Wikileaks.
Sans vouloir faire du Foucauld-à-tout-prix, le discours de la terreur, surtout dans une optique autoritaire, cherche toujours les corps sur lesquels il pourra s'exercer. La dématérialisation de l'information sur wikileaks provoque une répression un peu désordonnée, un peu brouillonne, massive mais aussi relativement inefficace. C'est déjà un peu moins le cas pour la "répression" dont Assange fait l'objet - quoique pour un comportement sans rapport a priori avec ses activités de whistleblower.
Qu'en pensez-vous?
Fantômette,
Je n'ai pas fait allusion à la poursuite contre Assange, principalement pour une double raison:
(1) je souhaitais relever l'intervention des marchands dans les affaires politiques;
(2) j'ai glissé un mot sur le sujet dans un billet précédent en notant « Qui veut noyer son chien, l'accuse de la rage» (dans le billet) et «le jupon dépasse» (dans les commentaires)
Les apparences de "complot" sont troublantes (et je ne souhaite pas verser trop facilement dans la "conspiration") mais comme c'est aussi une affaire judiciaire (qui me semble théoriquement séparée de la sphère marchande et la sphère politique), je crois que tout à été dit en l'absence de preuve supplémentaire. Mais tout comme vous, probablement, je suis irrité de voir la Justice prêter flanc à une apparence de manipulation.
De plus, comme (1) je ne peux pas exclure que le pur hasard aurait apporté ce cas sur la place publique à un si mauvais moment ni (2) ne saisis toutes les nuances du consensus collectif suédois autour de la ligne à ne pas franchir dans une relation intime homme-femme, je préfère ne pas m'avancer plus en avant sur le sujet.
La répression qu'Assange et Wikileaks semblent avoir des gouvernements mis à nus par les télégrammes dérobés est "inefficace" comme vous le dites si bien pcq les "corps" ne sont pas accessibles. Mais l'attaque est bien réelle à deux niveaux: sur les serveurs de wikileaks (représentation de l'identité en ligne) et sur la réputation d'Assange (décrédibiliser la personne pour détruire son discours).
Mais une autre question subsiste, que je n'ai pas posée dans le texte, et concerne wikileaks, qui dépasse largement son rôle de "whistleblower": avec tous les coulages cette année, à qui profite le crime? L'idéologie de transparence extrême des états sert-il quelqu'un, quelque part? Des idées "conspirationnistes" aussi peuvent être générées de ce côté là...
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