L'expérience «Huis Clos sur le Net» arrive à son terme demain et d'intéressantes conclusions peuvent être déjà apporté sur la façon dont les réseaux sociaux sont intégrés dans l'écosystème de l'information.On rappelle que "l'expérience" consiste en cinq journalistes "isolés" sur Facebook et Twitter, sans possibilité de consulter les médias traditionnels ni surfer sur le web (seule la possibilité de suivre un lien donné sur une des plateformes est possible -- mais sans continuer à cliquer plus loin).
Bien sûr l'appellation "huis clos" étonne, car être "isolé" sur le net est exactement l'inverse d'un huis clos. Et aller "s'isoler" physiquement dans le Périgord ne fait pas plus de sens si le but est d'investir les mondes virtuels.
En fait, il s'agissait d'isoler de ces journalistes de leurs propres confrères journalistes et de leur propre réseau professionnel (et personnel) d'informateurs via les outils traditionnels (téléphone inclus).
J'ai expliqué récemment comment en fait
les prémices de l'expérience ne sont pas en fait celles annoncées: elle établit les balises d'une interconnexion entre les systèmes de diffusion d'information bottom-up et top-down.
Honni soit qui mal y surfeIl ne fait aucun doute dans l'esprit des participants que l'accès à l'information ne semble plus être un véritable problème: par contre, la capacité de traitement, de recoupement, de hiérarchisation de cette information a été le vrai défi.
Le bouillonnement sur Twitter et Facebook donne le pouls en temps réel de "l'importance" ressenti par l'audience sur un sujet -- à ne pas confondre avec son importance qui est une hiérarchisation analytique et contextuelle, mais pose tout de même la question de la pertinence de la sélection des nouvelles.
Quand mon Twitter fait #boom
Prenons un exemple. Tard mardi soir, une explosion a été entendue à Lille. Les réseaux ch'ti s'animent, à la recherche de la cause. Rapidement un des journalistes "isolés" écrit sur Twitter : «
Quelqu'un aurait-il un lien avec une info sur #Lille ???».
Le «boum» entendu au dessus de Lille ne semble pas être une rumeur, car à moins d'une coordination cachée (toujours possible) la diversité et la spontanéité des sources permettent de conclure que le "bruit entendu" était réel.
Par contre, les causes et les conséquences, elles, sont définitivement moins claires.
Le premier réflexe était de voir si une information sur les réseaux sociaux permettait d'en savoir plus. Puis sur les sites des médias traditionnels (oui, la communauté qui suit #huisclos n'est pas astreint aux règles que les cinq journalistes se sont auto-imposés). Rien à se mettre sous la dent.
Bien sûr, il faut savoir trier le bon grain de l'ivraie dans le flot qui a suivi (#lille et #boom sont devenus rapidement insalubres, et
le groupe sur Facebook aussi -- monté à 14 000 membres! ). Que de l'intox se mêle à l'info est courant sur les réseaux sociaux, particulièrement quand il fait parti d'une boucle de rétroaction (sachant que plusieurs se sont ruées sur les réseaux en pensant à une catastrophe, on en remettait!)
Mais déjà, à qui savait trier, il y a quelque chose à interpréter...
Le tweet ne fait pas le moineParmi les "accident nucléaire", "incendie de gaz", "crash d'avion" (tous relayés semble-t-il, pour faire rire), pas assez de cohérence: de telles catastrophes impliquent nécessairement une grande quantité de gens et une progression dans les infos. Ici tout était plat. La même info revenait sans cesse (ce qui est normal aussi: on "retweet" en vue d'attirer l'attention de gens (crédible) qui peuvent confirmer...).
Au bout d'un certain temps, une seule conclusion: l'événement, le "boum" (info presque sûre) n'a pas l'ampleur d'une catastrophe (l'incident est mineur; presque sûr). Donc non-événement, au sens médiatique du terme.
Mais le fait est réel tout de même. Les réseaux ont ressemblé à ces charmants citoyens réveillés en pleine nuit, sortant en pyjamas dans la rue, et commentant tous une nouvelle dont ils ne savaient rien: un bon moment, pour se faire peur et ensuite pour faire la conversation. Pour Tintin, tintin.
Les RT ont finalement fait leur boulot. Rejoignant qui de droit. L'affaire a été réglée quand un journaliste a confirmé la nouvelle sur Twitter (un
Mirage passant le mur du son dans le cadre d'un exercice). Les médias traditionnels ne font pas dans la conversation de couloir.
Jamais d’yeux sans toiMais si vous n'en concluez que les journalistes ont encore une bonne cote de crédibilité (c'est vrai),
c'est un peu court. Il faut remarquer le petit détail, celui qui montre que le nouvel écosystème de l'information est en place et se solidifie: c'est que notre contributeur journaliste a relayé article d'un journal et il été porté la nouvelle là où elle avait le plus d'impact. Sur les médias sociaux.
Bien sûr, la nouvelle a besoin d'un bon URL (celle d'une institution crédible --même s'il faut toujours resté vigilant) et d'être relayé par une personne crédible (un journaliste ou toute personne soucieuse de sa propre réputation). Mais au lieu de s'attendre à ce que le public se dirige vers lui, ou attende le lendemain pour sortir et aller chercher le journal, le journaliste se démène pour aller rejoindre sa clientèle.
Ça donne des idées à des journaux?
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Écoutez-moi en parler sur les ondes du
101,1 aujourd'hui à l'émission de Michel Dumais (14h00-14h30)
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Ma série de billets sur #huisclos1-
IVI: Interruption Volontaire d'Information : Décryptage. Où on repose les questions du projet (et y réponds).
2-
Huis Clos J-1: Où peut-être on sent un petit flottement dans la préparation ou du moins l'annonce du projet.
3-
Huis clos J+2: Où on effleure la difficile tâche de synchroniser les hiérarchies de l'actualité.
4-
Huis clos : fin de parcours: Où un #boom permet de voir le travail de filtrage à l'oeuvre.
5-
« Ce qu’on a découvert grâce à Huis Clos sur le Net » : Où on ne cache pas notre perplexité face à certaines "conclusions".