Combien d’humiliation subirons-nous avant d’abdiquer «l’intelligence» aux robots?
Depuis plusieurs années déjà que se prépare cette sortie. On parle soudainement davantage d’intelligence «émotionnelle», «interpersonnelle», «musicale-rythmique» et même «corporelle-kinesthésique» depuis quelques années...
On diversifie les définitions. Question d'être sûr de ne pas inclure les robots et leur «intelligence artificielle»...
Jouer aux échecs, une intelligente logico-mathématique, est passé aux mains des robots quand, il y a plus de 10 ans,
Kasparov a perdu contre Deep Blue.
Les questions de connaissances générales ne sont plus l’apanage des «gens intelligents» depuis que
Watson a battu les meilleurs joueurs de Jeopardy.
Ces deuils successifs, principalement du côté déductif, associatif et procédural devant la toute-puissance cybernétique, nous poussent inévitablement à nous redéfinir et à identifier correctement ce qui constitue le génie humain.
Car, côté «intelligence», il faut le reconnaître, nous sommes en train d’externaliser à la technologie, un à un, chaque trait de ce qui faisait auparavant notre fierté.
Définition à l'ère technologique
On doit donc se retrouver à redéfinir ce qu'est l'humain
Une piste consiste à essayer d'intégrer la machine : Hubert Guillaud posait cet été cette question:
sommes-nous autonomes? et où on se demande si nous ne sommes pas des machines humaines.
L'autre piste est de refuser l'anthropocentrisme : ce que la nouvelle et prometteuse branche philosophique dite du
réalisme spéculatif pose comme question tel que formulé récemment par Tristan Garcia:
qu'est-ce qu'un objet? et où on se demande si nous ne sommes pas tous des objets.
Je m'en tiendrai aujourd'hui uniquement à la position du repli: ce qui se passe quand on se retire de certaines activités humaines précédemment vues comme une marque (naïve?) d'intelligence.
La stratégie de la terre brûlée
Suite à
mon billet sur Triplex sur le sujet sur le robot LEGO qui résout des cubes Rubik en 5 secondes, quelques commentaires critiques, mais pertinents, m'encouragent à persister à penser que nous sommes devant une stratégie très humaine, ou du moins populaire (
folk), de la terre brûlée.
Devant l'avancée de «l'intelligence» des robots, on (re)définit sans cesse l'intelligence --ou plutôt on le (re)précise-- pour éviter qu'il puisse être une qualité que possède aussi les robots.
Combien de temps avant qu'un test de Turing entourant des questions sur la poésie nous force à redéfinir les réponses d'un éventuel futur «robot poétique» comme ne faisant pas partie de ce qu'on appelle «comprendre vraiment ce qu'est la poésie»?
Je ne crois pas qu'il s'agisse ici de paranoïa, mais de sémantique (nous ne sommes pas des robots, ils ne sont pas intelligent). L'emploi de la bonne définition de ce qu'est l'intelligence n'est pas très rigoureux dans la population (ni de ma part --en fait de personne qui n'étudie pas dans ce domaine--)
Mais année après année, d'avancées «cybernétique» en prouesses «d'intelligence artificielle», on décale la frontière de ce qui nous fait paraître «intelligent» pour ne pas inclure les robots. Moi le premier.
Mais on serait mal placé d'affirmer que les robots auront toujours «l'intelligence qu'on leur donnera». Les recherches en cours sont justement du côté d'un «apprentissage autonome» où les réponses du «robot» ne seront plus programmées, mais induites par son interaction avec l'environnement et de ce qu'il en a appris...
Regardez cette petite vidéo du journal Le Point ici sur l'iCub, un robot «qui apprend».
Je constate juste qu'à chaque fois que la cybernétique fait des avancées, on décale la définition de ce qui définit (naïvement?) «l'intelligence humaine» hors de la sphère de «l'intelligence» tout court.
On finit par définir notre essence du côté des «émotions» et de la «créativité». Je ne contredirai personne sur ce point.
Je répète ma question: combien d'humiliation devant la «cybernétique triomphante» subirons-nous avant d'abdiquer «l'intelligence» aux robots?
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Image du centre: tableau de JM Basquiat