ZEROSECONDE.COM: Vie privee a la bourse du web 2.0 (par Martin Lessard)

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Impacts du numérique sur la communication, notre société, nos vies.

Vie privee a la bourse du web 2.0

Il n'y existait aucun avantage autrefois à dévoiler des éléments de sa vie privée. Comment expliquer alors la présente vague d'exposition de vie privée (pas seulement des vidéos intimes, mais la mise dans la sphère publique de ses activités, ses coordonnées, ses préférences, etc) pour accéder à la sacro-sainte église du web 2.0?

L'Amérique est allergique à toute atteinte dans ce domaine, surtout de la part du gouvernement. Et pourtant! "There is a growing generation of people(..) that is unwittingly trading off (or "trading in") privacy for the potential rewards of "discoverablity." (source Simply Albert : Digital Nudity: Discarding Privacy for Discoverablity).

La raison? Les avantages se calculent par une aisance accrue du repérage et pairage dans un réseau social élargie. Ne pas participer serait s'exclure du cercle de la lumière et rester introuvable comme de la matière noire.

Vie privée, vie récluse?
Le "Réseau" n'étant pas la "Vie", certains peuvent s'en exclure sans y perdre au change (le réseau réel prenant le relais). Mais que dire de la génération montante qui vit cette pression sociale du réseau comme un "network or die"?

D'autres peuvent (re)trouver une liberté en affichant toute leur vie en ligne. Mais ce qui est troublant dans tous les cas, c'est ce que l'on ne permet pas au gouvernement, l'est allègrement pour l'entreprise privée. Google vient d'acquérir FeedBurner pour une bouchée de pain (quoi que j'en prendrais bien des miettes) et FaceBook connait tout de votre identité numérique. Mais on en redemande.

Impôt sur le partage
Lorsque vous vous arrêtez sur une page, que vous faites une recherche sur un mot, que vous liez d'amitié sur le web (et l'inverse aussi, vos "non-choix") vous créez du sens : c'est le reflet de vos intérêts, de vos activités, de vos valeurs. Ce sens est extrait du data brut de vos choix volontaires ou non. Ce résultat intangible qui n'avait pas de valeur nécessairement auparavant, en acquière une maintenant sur le réseau.

Pour accéder à cette valeur, elle doit être partagée. L'offre actuelle repose entre les mains des entreprises commerciales. La plus-value que nous créons ne nous appartiennent pas en propre. Le partage de la vie privée est le prix à payer pour en profiter. Mais afin d'être "en affaire", il est important que le système d'éducation enseigne la vraie valeur de la vie privée avant de faire le troc.
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Lectures supplémentaires:
ATX : attention trust plug for Firefox (afin de conserver pour soi la valeur de ses choix)
Google - DoubleClick Deal Draws Attention (NYTimes)
How Public Is Your Privacy? (The Shifted Librarian) où il est question de division générationnelle quant au point de vue sur la vie privée et pourquoi il appert qu'une présence sur le web vaut mieux qu'une absence.
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11 commentaires:

jeudi, mai 31, 2007 3:16:00 a.m. Florence Meichel a dit...

Je suis interloquée par cette phrase : "il est important que le système d'éducation enseigne la vraie valeur de la vie privée avant de faire le troc."...la valeur de la vie privée est pas essence...PRIVEE...les problèmes que vous soulevez sont réels mais chacun ne les vit pas de la même manière...Vouloir moraliser et uniformiser de cette façon cette dimension me semble aussi violent que son contraire...Et à l'échelle d'un collectif, c'est moins une question d'enseignement qu'une représentation collective qui reste à construire....c'est une différence fondamentale... mais révélatrice !

jeudi, mai 31, 2007 3:31:00 a.m. Anonyme a dit...

Devrait on se réjouir de cette mise en avant de la vie privée au service du professionnelle ? L'exposition de sa vie privée online a toujours été un sujet délicat pour moi, ferme opposant aux facebox, myspaces et autres skyblog (pour les français). Alors voir la vie privée élément intégrant d'un business me laisse coi.
L'efficacité de l'exposition de sa vie privée en terme de résultats n'est plus à prouver cependant il fut un temps où l'on avait pas à en jouer pour se débrouiller correctement.
Bon je passe surement pour un conservateur endurci mais je n'ai que 18 ans ! ( voici un exemple d'utilisation de ma vie privée qui ne devrait pas à mon sens avoir sa place ici ;-) )

jeudi, mai 31, 2007 11:45:00 a.m. Martin Lessard a dit...

Florence, intéressante remarque!

Peut-être que je devrai prendre soin de préciser qu'il n'y a pas de valeur absolue à la vie privée. Mon approche semble prôner une moralisation de la chose (moi qui ai horreur de ce mot). Soit! précisons:

La vie privée a une valeur qui est différente pour tous. Avant de l'échanger pour une notoriété sur le réseau, il est important que chacun en connaisse le contenu, la valeur et les conséquences.

Souvent je fais le rapprochement avec la prostitution. Selon les morales du temps ou de l'endroit, elle n'a pas la même connotation.

Je crois sincèrement que s'il existe un choix, il est important que la personne sache ce qu'elle échange (ce n'est pas seulement son corps). Souvent, en fait, il n'y a pas de choix qui est fait.

La vie privée, comme le respect du corps, est une morale personnelle et élastique.

Dans la portion du monde où je vis, le système étatique en place promeut des cours de religion laïque, appelés surtout cours de moral, empêtré dans des déformations post-modernes mal assumées, qui répond à l'appellation anglo-saxonne de "multiculturalisme".

En me relisant, il appert que je ne peux que faire référence à un possible ajout au corpus de ce cours en question. Je ne sais pas s'il existe des équivalent sur le reste des terres émergés.

J'admets ainsi que l'éducation ne doit pas être l'endroit pour endoctriner les petites têtes sur ce qu'elles doivent penser. J'y donne aussi le prétexte de se voir comme le dernier rempart de la dislocation d'une pensée critique.

jeudi, mai 31, 2007 11:51:00 a.m. Martin Lessard a dit...

De Spiegleer, merci pour le commentaire.

La culture américaine dans laquelle je baigne m'a inculqué le désir de protéger ma vie privée. Or j'ai toujours pensée, à tors ou à raison, que l'on en faisait tout un plat, alors qu'il y avait pas de quoi fouetter un chat.

Car le syndrome Big Brother (de 1984) n'est pas arrivé. Nous somme plutôt dans le "meilleir des mondes". Ce qui me fait dire qu'il faut repenser notre "défense de la vie privée".

Oui, j'y tiens. Mais il est étonnant de voir ce courant de "nudité digitale" apparaître aujourd'hui et de me voir, moi aussi, jouer le jeu.

La vraie question n'est pas de savoir si le jeu en vaut la chandelle (au moment où on se parle, on y gagne plus) mas bien de savoir si les règles du jeu ne vont pas changer. La démocratie est fragile.

vendredi, juin 01, 2007 2:50:00 a.m. Florence Meichel a dit...

Bonjour Martin

Merci infiniment pour ce commentaire et cette mise en mots !

A propos de l'école vu comme dernier rempart contre la dislocation de la pensée critique, j'ai le sentiment qu'en France les cloisonnements qui définissent les processus pédagogiques empêchent au contraire l'émergence d'une pensée complexe et critique, d'une pensée pertinente et éthique au sens morinien du terme...et le développement d'une culture de réseaux apprenants élargie, me semble ouvrir des voies d'avenir, ou justement la pensée critique trouve sa place et prend sens !

Merci encore pour cet échange qui me fait avancer ! :-)

vendredi, juin 01, 2007 7:55:00 a.m. Martin Lessard a dit...

J'ai lu ce matin un billet de Thierry Crouzet sur la collaboration à l'ére du réseau. Ce n'est pas nécesairement sur la vie privée ou l'Éducation, mais ça donne des pistes pour comprendre le monde dans lequel on entre.

Le dilemne du prisonnier(version 2.0)

vendredi, juin 01, 2007 4:30:00 p.m. Anonyme a dit...

Vos remarques sur le développement du nudisme numérique me semblent pouvoir être largement rapprochées de l'usage que font de twitter la plupart de ses usagers.

Tout cela ne témoigne peut-être pas seulement d'un changement du rapport à la vie privée, qui peut d'ailleurs prendre la forme comme le signale un intéressant billet sur InternetActu d'un « avènement d’une société de surveillance choisie et désirée par les individus, et pas imposée par des états totalitaires ou marchands intrusifs », mais on peut s'interroger aussi sur le fantasme bien contemporain de la connexion permanente... J'ai ici pointé quelques liens sur ce sujet : http://novovision.free.fr/spip.php?article32

mardi, juin 05, 2007 10:14:00 a.m. Anonyme a dit...

la frontière entre la vie privée et la vie publique a beaucoup fluctué depuis bien longtemps (voir à ce propos le peu de place qu'elle occupe à Rome ou dans la Grèce antique). l'intérêt à se dénuder virtuellement correspond à un transfert de valeur entre l'individu qui le fait et celui que le reçoit : on capte une attention et récolte une audience; c'est le principe de tous les échanges entre individus, plus vous en savez sur l'autre, plus vous en devenez proche.
dans notre société de marché en construction, cette ultime espace de liberté individuelle est tout autant source de valeur; son aliénation (sa privatisation pour certains) permet d'apporter une valeur à beaucoup d'entreprises dite web2.0, par le biais d'une perte d'anonymat, non plus subie, mais désirée. car contre cet abandon, il y a un gain : faire partie d'une nouvelle communauté, pouvoir apprendre sur l'autre comme l'autre apprend de vous... le problème, s'il en est un, c'est que cette liberté, donnée aux individus par les états, est dorénavant dans la sphère de l'économie marchande...

mardi, juin 05, 2007 10:25:00 a.m. Martin Lessard a dit...

JulienB, je n'aurais pas su aussi bien dire.

Le transfert du contrôle social dans les mains du marchant serait l'abdication du citoyen de son rôle dans la cité : il devient un hyperindividualiste qui mélange politique et consommation. Je ne sais pas si on peut devenir maître de son destin ainsi.

Ma crainte personnelle concerne moins le pouvoir grandissant de la caste marchante que sa manipulation possible par un état à la dérive. Tant que l'état devait son rôle aux citoyens, ceux-ci ont le pouvoir. Mais la concentration dans les mains d'une caste favorise un rapport de force plus grand pour un État qui serait peu soucieux de la vie privé (une dérive autoritariste n'est jamais à exclure).

mardi, juin 05, 2007 12:35:00 p.m. Anonyme a dit...

mais l'individu est tiraillé entre son hyperindividualisme et son existence dans la cité, qui fait de lui le membre d'une famille (depuis 1789, la nation).
pour le reste, je reviens sur votre intertitre "impôt sur le partage". ce n'est pas un impôt (prélevé par un état), mais une taxe, qui existe déjà. au travers du récent débat dadvsi, faussé par le caractère réél du piratage (copie vs diffusion), c'est la possibilité pour un détenteur de droits de transformer un individu en marchand, lors de simples échanges (socialisant) d'oeuvres soumises au droit d'auteur. c'est pour cela que je parle de société de marché en devenir. l'hyperindividualisation va alors en s'accroissant car les échanges, voire les rapports humains ne sont plus vécus qu'à l'aune d'une relation de valeur et/ou contractuelle.

pour le reste, la caste ne me fait pas peur car le système dans lequel elle évolue est défini par des règles.. le marché et les entreprises beaucoup plus, car même leurs actionnaires peuvent être floués...

mardi, juin 05, 2007 1:03:00 p.m. Martin Lessard a dit...

JulienB,

Le système capitaliste n'est pas guidée par une main invisible et les récentes mégafraudes financières d'Enron et compagnies ne font que révéler les manipulations possibles. Je n'ai pas nécessairement confiance.

Mais je suis d'accord quand vous dites: "l'hyperindividualisation va alors en s'accroissant car les échanges, voire les rapports humains ne sont plus vécus qu'à l'aune d'une relation de valeur et/ou contractuelle."

Mais l'accélération de l'hyperindividulisation du citoyen n'est balancée par rien en ce moment.

Et actuellement, ce sont les marchants qui se placent en arbitres. Or j'ai rappelé au début les dérives passées.

Mais comme ils disent, ;-) le passé n'est pas garant de l'avenir. Attendons. Actuellement on observe un fascinant phénomène de transfert de la vie privée dans la sphère publique. On comptabilisera les dégâts par la suite...

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